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Prix Saint-Simon 2015 L’Extravagance, Mémoires

« L’extravagance », Mémoires, vient de paraître aux éditions Robert Laffont Prix Saint-Simon 2015

Poète, essayiste, diplomate, S. Stétié est l’une des figures marquantes de la littérature francophone libanaise. Il dévoile ici l’histoire de sa destinée et le spectacle du monde, revenant sur plus d’un demi-siècle d’histoire littéraire, aux personnages essentiels qu’il a côtoyés dans les domaines artistiques et politiques.

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« l’extravagance » est désormais dans toutes les bonnes librairies !
Le mot de l’éditeur : « Poète de premier ordre, esthète, homme d’action et diplomate –  » ambassadeur d’un incendie « , résume-t-il en pensant à sa terre du Liban, qu’il a représentée en France, en Hollande et au Maroc -, Salah Stétié est issu de deux civilisations elles-mêmes matrices de plusieurs cultures. L’une méditerranéenne et orientale ; l’autre française et essentiellement occidentale. Très jeune, Libanais par son milieu familial, il s’est senti Français par la pratique d’une langue apprise dans les meilleures universités de Beyrouth et de Paris. Dès ce moment-là, il s’est lié, sur chacune de ces rives, aux plus grands poètes des années 1950 et 1960 : d’un côté, Georges Schehadé et Adonis ; de l’autre, Édouard Glissant, Pierre-Jean Jouve, Yves Bonnefoy, André du Bouchet, René Char entre autres. Ses Mémoires livrent, sur plus de 800 pages, un témoignage puissant et lumineux relatif à plus d’un demi-siècle d’histoire littéraire, aux personnages essentiels qu’il a côtoyés dans les domaines artistiques et politiques, comme aux pays et aux êtres qui l’ont nourri et accompagné. Mais, au-delà du simple exercice consistant à rassembler ses souvenirs, l’auteur a voulu s’immerger au coeur de son être et de son identité, pour élucider son propre secret – secret  » lié, écrit-il, à la profondeur insondable que chacun est « . L’ouvrage est porté par un style ample, voluptueux, parfois mordant et ironique, à la hauteur de cette épopée intime où se mêlent les peuples et les continents, les plus grands créateurs et les derniers géants de l’histoire, la tragédie des guerres les plus dévastatrices et les rêves de fraternité les plus exaltants, les bonheurs de l’enfance et les épreuves du temps. Publié sous un titre inattendu, L’Extravagance, mais qui reflète bien le sentiment que lui inspirent à la fois l’histoire de sa destinée et le spectacle du monde, l’ouvrage de Salah Stétié est un véritable monument qui devrait enfin apporter à cet auteur majeur, injustement méconnu du grand public, une consécration plus large que celle qu’il a obtenue jusque-là. »
livre ouvert

Catherine Bolle

VIOLENTE ET DÉLICATE CATHERINE

 

 

C’est à Montparnasse que j’ai connu Catherine Bolle, ce Montparnasse inépuisable dès qu’il s’agit de peintres et de peinture. Nous n’avions même pas rendez-vous, c’était avec le brillant helléniste Jacques Lacarrière qu’elle avait affaire ce jour-là. Pour une raison que j’ignore, Jacques n’avait pu se déplacer. La Suissesse, avec son grand carton à dessins, semblait un peu perdue dans ce café où elle était assise, attendant. Elle nous adressa la parole, à Caroline et moi, ses voisins de table. Il y a des hasards heureux : Caroline étant la filleule de Jacques, Catherine, rayonnante, ouvrit son immense carton. Il y avait là de tout : des dessins, de splendides graphites, des encres sur du papier perforé d’ordinateur. Immédiatement, ce fut le coup de foudre. Catherine Bolle était, est un grand peintre, toute intuitive et toute expérimentale. Nous ferons plusieurs livres ensemble et j’écrirai sur elle et sur son vouloir-peindre, qui semble rien de moins qu’un vouloir-vivre, plusieurs textes admiratifs.

 

Valérie Sasportas « Salah Stétié, ambassadeur des peintres »

in Le Figaro, 17 avril 2014

Enchères Drouot – mercredi 21 mai – 14h – salle 7

Ancien diplomate, l’écrivain et poète libanais disperse à Drouot le 21 mai, sa collection de beaux livres et de tableaux signés Picasso, Max Ernst, Alechinsky, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls

Lefigaro.frENCHÈRES

Salah Stétié, ambassadeur des peintres

Par Valérie Sasportas

Albert Féraud (1921-2008) Portrait de Salah Stétié, encre de chine, circa 1990. Crédits photo : Drouot/Drouot/ADAGP, Paris 2014

ENCHÈRES – Ancien diplomate, l’écrivain et poète libanais disperse à Drouot, le 21 mai, sa collection de beaux livres et de tableaux signés Picasso, Max Ernst, Alechinsky, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls.

C’est un poète, né il y a quatre-vingt-quatre ans dans une famille bourgeoise musulmane, arabophone, d’un Liban sous mandat français, et qui reçut le grand prix de la francophonie de l’Académie française en 1995, longtemps après avoir fondé L’Orient littéraire et culturel, supplément du quotidien libanais francophone L’Orient. C’est un diplomate, ancien secrétaire général du ministère libanais des affaires étrangères et délégué permanent du Liban auprès de l’Unesco.

Salah Stétié aura marqué son temps et lié sa vie d’amitiés avec des grands peintres, Picasso, Max Ernst, César, Alechinsky, Vieira da Silva, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls, le père du Premier ministre. Il a signé de nombreux livres de ces artistes, qui font partie de sa collection mise aux enchères par le commissaire priseur Jean-Claude Renard, le 21 mai prochain, à Drouot. Trois cents œuvres sans prix de réserve fixés par l’expert, Marc Ottavi. «Mon œil est gourmand de leurs formes, de leurs couleurs, de leurs traits. Grâce à eux, j’ai d’autres mondes que le mien à ma disposition», affirme-t-il.

Avant de s’expliquer sur les raisons de cette vente: «Le Cardinal Mazarin, sur la fin de ses jours, s’était exclamé dans son cabinet de curiosités, «Dire qu’il va falloir quitter tout cela!» Je veux, moi, quitter librement mes amis». En exclusivité pour Le Figaro, Salah Stétié nous a reçus dans sa maison de La Verrière (78), autour d’un thé et de petits gâteaux libanais.

LE FIGARO – Vous souvenez-vous de votre premier choc artistique?

Salah STÉTIÉ – Oui, certes. Il s’est déroulé en deux temps. Dans ma maison d’enfance, il n’y avait pas vraiment de tableaux, mais mon père était amateur de calligraphies. Enfant, je ne comprenais rien à ces lignes tordues qui faisaient sur lui l’effet d’une chanson. Je garderai toute ma longue vie un grand respect pour la magnifique calligraphie arabe, turque ou persane et me suis lié d’amitié avec des agents majeurs de cet art, vivant en France: Saggar, Ghani Alani, Massoudy, avec qui j’ai fait des livres d’artiste. Le deuxième choc de la beauté, occidental, je l’ai reçu quand l’un de mes maîtres à l’École Supérieure des Lettres de Beyrouth, le critique de poésie Gabriel Bounoure, m’a mis sous les yeux une copie de la sublime gravure de Dürer, Melancholia. Du haut de mes 18 ans, j’en fus bouleversé, et aujourd’hui encore. J’évoque cet épisode formateur dans mes Mémoires, à paraître fin septembre chez Robert-Laffont.

Salah Stétié, 2013. Crédit: Salah Stétié

Salah Stétié, 2013. Crédit: Stéphane Barbéry

Il n’y avait pas de musée à l’époque au Liban…

Beyrouth n’avait que son très beau musée archéologique. Les peintres et sculpteurs libanais donnaient à voir leurs œuvres deux fois par an au Salon du printemps et au Salon d’automne. Mais point de galerie d’art. Le désert. Les choses ont bien changé depuis et Beyrouth, à partir des années 1970 notamment, est devenu la capitale des arts de tout le Proche-Orient. J’ai d’ailleurs joué un rôle personnel important dans cette renaissance dans la mesure où, directeur de l’hebdomadaire L’Orient littéraire et culturel j’ai, comme dit l’Encyclopédie des littératures (La Pléiade), «dirigé au Liban l’orientation du goût». Bah!

Quel a été le premier artiste à vous avoir ému à votre arrivée à Paris?

Mon premier ami parisien ne fut pas un peintre mais un sculpteur encore dans l’œuf et déjà iconoclaste: César, massier à l’École des Beaux-Arts, désargenté comme un astre en train de tourner au rouge, et avec qui, régulièrement, je battais le pavé de Saint-Germain des Près. César et moi nous parlions de tout, beaucoup d’art, et aussi de rien: avec nos petits moyens nous pouvions juste nous payer les mauvais cafés de l’immédiat après-guerre, des sandwiches au beurre-fromage et parfois un verre de vin pour la fille qui nous accompagnait si nous lui voulions du bien. C’est lui qui m’a introduit dans des ateliers (celui de Zadkine entre autres) et m’a appris une certaine forme d’intransigeance dans le jugement sur les œuvres.

Votre collection compte deux toiles de Xavier Valls, le père du Premier ministre…

Xavier Valls et moi nous sommes rencontrés chez Suzanne Tézenas, qui nous réunissait, avec quelques amis, Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault, Pierre Boulez, au Domaine musical, une société des concerts qui dura 1954 à 1973. J’aimais beaucoup la peinture de Xavier Valls, très balthusienne. Il fit d’abord un portrait de moi. Puis il m’offrit le dessin d’un couteau pour mon mariage, qui a duré 23 ans.

Xavier Valls (1923-2006), Couteau, Mine de plomb, 1978.
Xavier Valls (1923-2006), Couteau, Mine de plomb, 1978. Crédits photo :DROUOT/ADAGPParis 2014

Quel peintre auriez-vous aimé être?

Aucun. Je ne veux pas être peintre, parce que je ne me suis voué de tout mon être qu’à la poésie, centre et périphérie.

A quoi vous sert la poésie?

La philosophie, à quoi sert-elle? On le sait de reste: à être enseignée. La poésie? Elle ne sert à rien qu’à donner des nouvelles du cœur et de l’âme. La poésie, qui dans le monde entier a longtemps signé les siècles -celui de Ronsard, de Shakespeare, de Dante, de Victor Hugo-, témoigne de sa gloire au passé et peut-être prépare-t-elle l’avenir en tentant de sauver tout ce qui peut l’être de l’homme et de sa langue.

Quel est le mot de la langue française qui vous ressemble?

J’aime le mot «ambiguïté» depuis que Pascal nous a appris notamment que tout est ambigu et tragique.

Le marché de l’art est-il pour vous un outil diplomatique?

L’art, en tout cas, pose aujourd’hui des problèmes à la diplomatie. J’ai été le premier président du Comité intergouvernemental pour le retour des biens culturels, objets d’une appropriation illégale ou de trafics illicites, à leur pays d’origine, installé par l’Unesco vers le milieu des années 1970. J’y suis resté sept ans. J’ai eu à m’occuper du Code d’Hammurabi, des marbres du Parthénon exportés en Angleterre par Lord Elgin et qui constituent depuis l’une des merveilles du British Museum. Aujourd’hui, un bien culturel, par sa valeur symbolique autant que matérielle d’ailleurs, suscite de vastes polémiques et se trouve placé au centre de nombreuses transactions diplomatiques. Voyez les objets d’art et les tableaux volés par les nazis et qui ressurgissent chaque jour sous nos yeux. Voyez les patrimoines menacés par fait de guerre, en Syrie par exemple. Et encore les grands débats d’hier sur le pillage par les grandes puissances de milliers de chefs-d’œuvre nés en Afrique, et témoignant de l’identité de ce continent si terriblement démuni désormais de ses propres signes culturels. La diplomatie culturelle est désormais aussi présente dans les chancelleries et les ministères que la diplomatie politique ou économique.

Zao Wou-Ki, Ghalil Gibran, <i>Le Prophète</i>, éditions Marwan Hoss, 1992.
Zao Wou-Ki, Ghalil Gibran, Le Prophète, éditions Marwan Hoss, 1992. Crédits photo :Drouot/ADAGPParis 2014

L’artiste natif d’un pays en guerre est-il forcément un artiste engagé?

Il arrive à l’artiste de s’engager. Mais seuls les artistes inaboutis se servent de leur art comme d’un lieu d’engagement. L’art ne doit s’engager que dans et pour l’art qui est une des plus hautes expressions de l’humain, sinon la plus haute.

Au Louvre, le projet de département dédié aux arts des chrétientés d’Orient a été abandonné. Comment réagissez-vous?

C’est une erreur regrettable. Les Arts de Byzance et des chrétientés d’Orient sont, dans tous les domaines de la créativité, des arts accomplis, héritiers de bien de civilisations antécédentes et ancêtres de bien de civilisations ultérieures. Cela est d’autant plus triste que les cultures, arts et rituels issus de Byzance sont encore vivants de façon quotidienne à travers les traditions des chrétientés d’Orient et, par contamination de proximité, avec les arts de l’Islam qui, comme chacun sait, ont partagé avec Byzance bien des positions philosophiques et théologiques autant que de techniques de réalisation. Les rituels byzantins et leurs projections sont également toujours actifs dans toute la Russie chrétienne et l’ensemble de l’Europe orthodoxe. De prime abord, cette élimination du neuvième projet me paraît une facilité et, à la limite, une absurdité. À mon sens, le British Museum, ne l’aurait pas fait.

La nation libanaise est-elle un impossible rêve? Les tensions communautaires en Syrie ont fait craindre le retour de la guerre civile.

Le Liban est très menacé, mais il l’est depuis si longtemps (la première guerre civile dura de 1975 à 1990, NDLR), que l’on peut espérer qu’il finira par s’en tirer avec l’aide de ses amis. Et il en a. Ce sera long, très long, mais pas impossible. Le roseau de la fable se maintient là où le chêne se brise. Disons: inchallah!

Une vingtaine de peintres ont réalisé votre portrait. Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous?

C’est un poète et il l’est resté jusqu’au bout.

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Une dispersion créative

UNE DISPERSION CRÉATIVE

 

J’aime beaucoup les peintres et les autres artistes, les sculpteurs, les dessinateurs, les graveurs. Mon œil est gourmand de leurs formes, de leurs couleurs, de leurs traits. Grâce à eux, j’ai d’autres mondes que le mien à ma disposition. Je me promène dans leurs espaces bien mieux encore que je ne le fais sur les continents de cette terre. J’ai parlé à leur propos de monde : ces artistes sont des multiplicateurs de monde, ce monde-ci, le visible, et tous les autres, invisibles, à sa périphérie, qu’elle fût, cette périphérie, matérielle ou immatérielle.

portraitJai connu – et je connais – quelques-uns parmi les plus grands. Picasso et Max Ernst (nous nous promenions ensemble, Max et moi, dans ma voiture), Calder et César. Alechinsky, aujourd’hui, est l’un de mes frères en sensibilité poétique : il ne se passe pas de semaine que nous ne nous téléphonions longuement avec affection et humour et nous avons, entre autres aventures à deux, failli mourir ensemble (je raconte l’épisode dans mes mémoires à paraître à la fin de l’été prochain chez Robert Laffont) ; or, faillir mourir ensemble crée paradoxalement des liens de plus grande solidarité, si faire se peut. J’ai eu affaire à Raoul Ubac, une manière de saint de la chose peinte ou gravée. J’ai eu affaire à Valentine Hugo et à Vieira da Silva. J’ai eu affaire à Jan Voss, à Jean-Paul Agosti, à Joël Leick, à Claude Viallat, à Gilles du Bouchet, à Christiane Vielle, au cher Albert Woda, à Jean Cortot, à Catherine Bolle, à Gérard Titus-Carmel, à Bernard Dufour, à Alexandre Hollan, ce christ bienheureux des arbres. J’ai eu affaire à Antoni Tàpies, à Zao Wou-Ki, à d’autres, bien d’autres encore. Faut-il finir sur un etc. ? Ce serait certes un et caetera plein de regrets, car je ne peux citer tous mes admirables compagnons, tous mes précieux alliés transparents.

Avec certains d’entre eux, j’ai fait des livres magnifiques, moi leur donnant mes mots, eux m’offrant leurs visions. Près de cent cinquante livres d’artistes signés de moi et de chacun d’entre eux ont été exposés il y a un an au Musée Paul Valéry de Sète, accompagnés de tableaux et d’œuvres de ces mêmes peintres : une sélection de ces livres et de quelques-uns de mes manuscrits a été présentée par la suite à la Galerie des Donateurs de la Bibliothèque nationale de France, quai François Mauriac, et cela dans le cadre d’une exposition suivie d’un colloque.

drouotC’est donc là une collection de poète qui se donne à voir à Drouot, d’un poète traduit dans bien des langues, et dont quelques peintres considérables ont souhaité faire le portrait : Alechinsky, Woda, Bazaine, Xavier Valls, François Chapuis… De ces miroirs que m’ont tendus l’amitié et l’affection, je me félicite, aujourd’hui notamment où l’âge est là, le grand âge interpellé par Saint-John Perse. Des achats et des dons sont nés de cette amitié et de cette confiance réciproque entre ceux qu’aura liés tout ce qui peut lier les hommes de création et de rêve.

Pourquoi, à mon âge, je disperse ainsi aux enchères publiques ma dernière collection, l’ensemble de mes beaux livres ? Justement parce que l’âge est là et qu’il va bientôt nécessairement me séparer de tout cet héritage aimé et si merveilleusement sensible. Le Cardinal Mazarin sur la fin de ses jours se faisait conduire dans son “cabinet de curiosités”, son musée personnel patiemment accumulé, pour contempler tous ses trésors, et l’on entendit une fois l’homme de Dieu murmurer dans un souffle : « Dire qu’il va falloir quitter tout cela ! » Or je veux, moi, quitter librement mes amis, mes chers objets rêvés et créés, mes tableaux, dessins, gravures et sculptures avant que d’être contraint de le faire en qualité de de cujus. Je veux que d’autres, des « amis inconnus », comme dit Jules Supervielle, puissent à leur tour en profiter, tout en pensant à moi. C’est une grande collection que la mienne, mais non pas calculable en millions d’euros, car c’est la collection d’un poète qui aima (qui aime toujours passionnément) ce qu’il a rassemblé. Elle groupe, avec modestie et aussi intuition, de très grandes signatures que certains amateurs auraient crues hors de leur portée. J’inverse l’équation : j’aide des œuvres exceptionnelles à se mettre à la portée de tous. Tel est le miracle de la poésie : que ces images – ces “merveilleuses images” (Baudelaire) –, que ces sculptures, gravures, photographies et livres prestigieux aillent éclairer désormais d’autres foyers, fécondant d’autres cœurs.

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Dominique Baudis

Je viens d’apprendre avec une très forte émotion la mort de Dominique Baudis, qui était mon ami, et qui fut ce grand reporter au Liban des premières années de la guerre civile puis, par la suite, le grand Président de l’Institut du Monde Arabe que l’on sait. Entre ces deux pôles d’activité, il fut député-maire de la ville de Toulouse, succédant dans cette haute fonction à son père.

dominique-baudis-le-3-fevrier-2009-a-bordeaux-10471386eftuz_1713Chacun sait que depuis qu’il a quitté l’IMA, il a occupé le poste extrêmement délicat de Défenseur des droits. C’est, on le voit, une carrière on ne peut plus remplie, et chaque fois qu’une nouvelle responsabilité lui était confiée, il donnait le meilleur de lui-même à cette tâche, étant homme de conscience et de devoir, s’il en fut.

Il n’a jamais démérité face à toutes les difficultés qu’un homme, un combattant comme lui, pouvait rencontrer, inévitablement, sur sa route.

Son secret était dans l’amour des hommes et la fidélité aux principes qu’il s’était faits très jeune. On aimait sa prestance, son beau regard bleu, son acuité d’esprit, son humour, ce quelque chose en lui de « don-quichottesque ». Il avait pour les faibles et les démunis, aussi bien sur le plan politique que matériel, une réelle compassion ; et c’est à leur contact que le sens de son combat lui apparaissait dans la lumière d’un éclair.

Le haut-fonctionnaire qu’il était n’a jamais hésité une seconde à intimer aux Autorités, chaque fois qu’il le fallait, de reprendre la voie juste et légale si celle-ci avait été franchie dans le mauvais sens. À un moment donné de sa brillante carrière certains ont voulu le salir, là aussi ses ennemis ont buté sur l’homme sans peur et sans reproche qu’il fut : la justice les a pulvérisés.

J’aime, j’aimais, Dominique et je le pleure.

Je dis à sa femme et à ses enfants l’immense peine que son départ laisse dans mon cœur et dans celui de beaucoup.

The Mediterranean and Poetry

THE MEDITERRANEAN AND POETRY

Today, through all the problems it poses, the Mediterranean finds itself at the centre of the planet’s preoccupations. For a long time people had believed it was dead, having become in the eyes of the more active and dynamic civilisations of the North a Mediterranean-Museum, a monumental space devoted to the great refinements of the most beautiful aesthetic creations of the past, a vast warehouse of the most ingenious inventions, indeed civilisations henceforth collapsed beneath their own prestigious weight: Egypt, Greece, the Roman Empire, Byzantium, Andalusia, the Turkish Empire, Venice, the great Western empires – Spanish, French, English, especially – established via the force of arms, through the power of technique and technology, on the southern and eastern banks of the most fertile of seas. A sea in which were born all the myths that govern us, a sea of the three Abrahamic credos, a sea in which great epic and lyrical poetry came into being, a sea of philosophers, thinkers of the One and the multiple, who have not ceased to nourish, and today still, our thinking in all of its forms.

No, the Mediterranean is not dead and the weight of its distinctive and complementary cultures has not killed it. With the end of colonial authority after the end of the second world war, the Mediterranean wakes up, as do at times its volcanoes, with violence, demanding its place in the new concert of nations, wanting independence, recognition of its multiple identities, justice, equality with Europe, a proud continent laying forth its claim (with all the difficulties we see today) to the reestablishment of its supremacy in a unitedness reconquered. The claims from the other bank often touch on the irrational, in the midst of disorder and blood, everything for a long time being stirred up by the blindness and incompetence of the most powerful (the United States foremost) and by the ineptness of others, the European states in particular. That is what is at the root of the present ‘Arab revolutions’.

How in these conditions are we to resolve the new and often terrible questions that are posed and which have not been finding, for a half-century or decades depending on various factors, any solution. The interminable Israeli-Arab conflict, the rise of fundamentalisms, the break-up of Lebanon, the effects of terrorism in Northern Africa, the instability and impasses of ex-Yugoslavia, Turkey’s desire to become an integral part of Europe… and, close to all of this, the Iraq and Afghanistan wars, still not really over, and emerging from a globalisation ill thought out and poorly implemented.

Political analysis is at loggerheads with a poetry thousands of years old from a world to which we owe an essential part of our being-in-the-world, beyond the inimitable history of this human sea, where culture and violence converge, the mother of prophets, poets, philosphers and a few other prodigious visionaries. Such a world positioned at the very source of myths and immemorial principles, henceforth is dreaming and designing the project of a new equilibrium between the northern and southern shores of a sea sharing geography, history, culture and poetry.

*

Between the Mediterranean and poetry there has always been a kind of pact. Perhaps because the sea, and precisely that sea, sufficiently engaging and familiar for the man of the dawn of time to dare to venture upon it, was the first to open up the space of travel to human reverie. And poetry, above all, is journeying. Perhaps because through the risks journeying entails, and the inevitable disillusionment, that sea also opens up, like a ship’s wake forming, the nostalgic space of a return. And poetry, then, is return.

This, it seems to me, is one of the possible meanings of the dual and contradictory postulation enclosed within humanity’s very first poetical monuments – a humanity that was, firstly and determinedly, Mediterranean -, a joined monument with its two spread wings, one the Iliad, the other the Odyssey.

The placeless place of poetry thus finds itself dangerously defined. At the intersection of forces, it is the confused one, the disconcerted one, that par excellence which is torn asunder, the fevered one, the one knowing no appeasement. And that does not mean that its path does not exist, but that any path it traces out is traversed by a contrary path. So does it move and its intoxication is not a pretence.

*

But the Mediterranean precisely, the Mediterranean of vines and wine, refuses intoxication. Other regions of the world, with their peoples, will make poetry the occasion for great agitated fervours. Since there is disconcertedness, they will seem to be saying, let it be complete! Mediterranean man, in his confusion, continues to attempt to master his going forth. A navigator, yes, cast, by his own dizziness and that thirst sharpened by salt air, into the uncertainties of the universe, he has very quickly learned, needing salvation, to map out in the teeming enigmaticalness the few firm points on which may be hung all that is visible, and all that is invisible, all that escapes and flees his grasp. And so, out of defiance to the formless anguish of the sea, is born the calm geography of the sky. And so poetry, the poetry, I mean, of Mediterreans, teaches us to contain our doubts to the point of reflecting them via some inversion that, without denaturing them, absorbs and consumes them in the fire of figuration. Such figures, though stable, are nonetheless distant and, hanging over the destiny they inflect and guide, ruggedly maintain, between man and his unalterable star, all of the nocturnal depth, the perillous agitation and the ever changeable substance of such destiny.

*

From the confrontation I have just defined arises the idea, in its high poeticalness, of death. The idea of death, like that of salvation, perhaps owes its most rigorous contours to the Mediterranean. All things considered, statuary, whether Egyptian or Greek, is one of the most intrinsically Mediterranean inventions, and a statue always speaks the language of death[1]. A Mediterranean invention, the column is equally a statue. What do raised marbles and basalts tell us? That there is no salvation for man, made of perishable matter, except in stone, which is the flesh of the gods. And so, by dint of the invisible, Mediterraneans discovered the weight and price of the visible, but only immediately to recharge the particles of the concrete, of matter, with all the powers of the invisible. After place in proximity to the sea, stone in turn is transmuted into a place of ambiguousness. Mediterranean poetry I see as a stone raised upon a shore, a forgotten column. Between the column and the wave, an elemental dialogue is instituted. The one that is form and definedness seems to deny the reign of the other, which is merely the formless infinitude of breathing things in time. But, looking more closely upon all of this, via the ambiguity I have stated and which runs through stone and sea, via the simultaneous and reciprocal action of forward and backward movement, by intuiting the god that gives life to the statue which, in turn, rules the god, the column and the wave open in deep ways one upon the other, and both, over and above their apparent conflict, fashion the same spiritual sign. Mediterranean poetry, which, more than any other, loves the world’s surface, loves playing with the brilliance of contrast, is in its silent slow ways of being, upon the banks of some mental Styx, inhabited by some unique ghost. The fertileness of appearances, their happy variety, and the song that makes them quiver and shimmer like the leaves of the tree covered in olives, have as their counterpart a burnt soil. Poetry, I mean the greatest poetry, delights in the benefits of intensity: let appearance reach its maximal point, fully vibrant and a miracle of prestige, but, too, well drawn, powerfully struck in the world’s metal, let it be finally denounced as ash and dust, and poured back into nothingness! There lies, it seems to me, the moral, in the poetical sense of the word, of Valéry’s most beautiful poem – one of the most beautiful poems in French –, Le Cimetière marin, a closed space wherein we discover that at once tangled and clear exchange of sea and stone, under the aegis of death, an exchange wherein I think I may detect that mysteriously traversed and contradictory movement which, from the contemplation of things in their calm and serene figuration, leads man to the awful enigma of his silence. And when man has exhausted the powers of his melancholia, at the very moment such melancholia may have thought to have won the game played against human livingness-absence, the latter suddenly will invoke the reign of wind, and will shake himself, admirably feeling the cold, in the foam of a new beginning… Le Cimetière marin appears to my mind to trace out a path essentially contrary to the journey of Euridice: Orpheus, in a special place of reflection, in the moment of surrendering visibleness to the funereal sun – dispossessed stanza upon stanza of the many things he had thought to accumulate – suddenly is struck with illumination and, spinning about, gazing intently upon the present and the immediate future, frees himself, chains and charms, and, with his foot, kicks away the past (its long and meditative logic) into some vain philosophic tomb.

*

The wind that gets up in concluding Le Cimetière marin is perhaps the same wind, that other wind, that opposing wind that Agamemnon’s sailors watched for in exasperation at the time of hurling themselves, all banners flying, into the first great Mediterranean poem, beneath the action of their same and triple obsession or mirage: of the sea, of death and – because Helen is definitively the survivor, the triumphant one with her ambiguous smile – of that which subsists and is maintained above ashes after the warring of man, and which, perhaps, is love.

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