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Hommages, articles, études sur l’œuvre de Salah Stétié

Entretien avec Pierre Ahnne 9/5/15

Entretien avec Salah Stétié
Par Pierre Ahnne le 9 Mai 2015 à 08:36

IMG_2098Salah Stétié est une figure importante de la poésie francophone contemporaine. Né en 1929 à Beyrouth, longtemps diplomate, il a publié de nombreux recueils de poèmes, de L’Eau froide gardée (Gallimard, 1973) à L’Être (Fata Morgana, 2014). Il est aussi l’auteur de multiples essais, traductions, livres d’artistes, et de Mémoires, parus chez Laffont en 2014 sous le titre L’Extravagance. Sa poésie est exigeante, parfois hermétique. Mais une sensualité solaire l’irrigue et la magie du rythme lui prête un caractère incantatoire. Que Salah Stétié ait bien voulu répondre à quelques questions sur ce blog me ravit et m’honore.

(photo Paul Facchetti)

Comment en êtes-vous venu à écrire ?

Comme tout écrivain qui, un jour, se découvre avec émerveillement capable de mettre en mots ce qu’il ressent. Par hasard et par nécessité. Mon père était poète, il écrivait en arabe de longs poèmes rimés (monorimes) et rythmés : des qacida(s). Il lisait ses poèmes une fois achevés à ma mère qui était une femme sensible à la beauté des choses prises au piège des mots. Le petit bonhomme, moi en l’occurrence, écoutait, n’y comprenant rien. Intrigué, il imita son père. Il prit son porte-plume et le trempa, à sept-huit ans, dans l’encre violette. Ce fut là le début d’une longue, très longue aventure, d’une longue, très longue histoire d’amour.

Comment écrivez-vous ?

Sur la table basse, dans une grange aménagée en bibliothèque et propice au rêve et à la réflexion. Mais je suis capable d’écrire n’importe où, parfois sur mes genoux.

Écrire, est-ce pour vous un travail ?

D’abord un plaisir quand le feu de l’inspiration est là. En poésie, il est toujours là quand j’écris. Ensuite un travail : corriger, revoir, cerner au plus près, prose ou poème, ce qu’on veut vraiment exprimer. Puis de nouveau les choses s’éclaircissent, et le plaisir – comprimé, jugulé – revient. Il y a du sexuel dans le plaisir d’écrire.

Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?

Inévitablement. Je passe sur les plus grands : Shakespeare, Cervantès, Al-Mutannabbi, Djelâl-Eddine Roûmi, Ibn Arabi, dont, à la lecture, je cueille toujours quelque chose. Mais il y a aussi Maurice Scève, il y a Racine, il y a Nerval (ah, Nerval !), il y a Baudelaire, il y a Mallarmé, il y a Rimbaud, il y a Claudel, il y a André Breton, il y a Pierre Jean Jouve, il y a (parfois) René Char. Il y a Novalis, il y a Hopkins. Ils sont, tout compte fait, aussi grands que les plus grands. C’est là pour moi ma famille d’esprits. Il y a (ne pas l’oublier) Bâsho, la plus fine lame de la poésie japonaise.

En tant que poète, comment vivez-vous votre double appartenance culturelle, entre Orient et Occident ? Est-ce sur le mode de la contradiction ou au contraire sur celui de la complémentarité ?

Je la vis sans difficulté aucune. Je suis un esprit complexe mais uni. Je circule dans mes cultures comme un homme va, dans son jardin, d’un massif de fleurs à un autre, différents mais mystérieusement convergents.

Vous venez de publier un volume de mémoires dans lequel vous évoquez votre carrière politique et diplomatique. Diriez-vous que vos activités dans ce domaine ont contribué à nourrir votre poésie ?

Vous parlez de mon livre « L’Extravagance” récemment paru chez Robert Laffont, l’un de mes éditeurs. Un livre de mémoires puise dans tous les domaines, rêveurs ou concrets, où l’activité d’un homme s’est exercée. J’ai assumé ma part du diplomatique et du politique dans des conditions parfois très difficiles : la terrible guerre civile libanaise a laissé en moi et dans ma mémoire de vives et profondes séquelles. Mais j’ai aussi aimé, j’ai voyagé, j’ai rencontré et fréquenté des hommes remarquables, des écrivains de très haut vol qui furent mes amis (Cioran, par exemple), des poètes admirablement aigus (Schehadé, mais aussi Pablo Néruda qui fut mon collègue à l’Unesco), des dramaturges (Ionesco), des poètes-romanciers (Jouve). Tout cela m’a impressionné, m’a imbibé, m’a traversé pour se retrouver naturellement dans mes mémoires.

« Il n’est d’apparition que dans la disparition », écrivez-vous dans les “Carnets du méditant” (Albin Michel, 2003) : la poésie est-elle, pour vous, la manière de faire exister ce qui, par essence, se dérobe ?

Oui, les objets de la poésie sont fulgurants. Ils apparaissent dans un éclair et sitôt vus, transformés par l’éclair d’une façon quasi métaphysique, ils replongent dans le plus noir de la nuit. René Char : « Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel. » Éternité soudaine, éternité perdue.

À lire vos poèmes, on est frappé par l’importance du rythme mais aussi par la place qu’y occupent les images. Lequel de ces deux éléments est-il pour vous le plus important ?

Les deux jouent de leur efficacité dans le duo mental et sensible, derrière lequel se profile l’orchestre obscur et ensoleillé du monde.

Dans un monde pour le moins tourmenté, où la littérature semble l’objet d’un désintérêt croissant, quel peut être le rôle du poète ?

Le poète est, dans un monde où rien ne compte plus que l’économique, le mainteneur de l’essentiel : l’âme, l’esprit.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Sur deux projets de livres, demandés respectivement par deux de mes éditeurs, et qui font – au bout de ma longue vie – le point.

référence : http://pierreahnne.eklablog.fr/entretien-avec-salah-stetie-a117570970

Anne-Sophie Yoo « L’Orient express de Salah Stétié » Valeurs actuelles 13/3/15

L’Orient express de Salah Stétié

VALEURS ACTUELLES 12 MARS 2015

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L’écrivain et ambassadeur franco-libanais fait revivre le Beyrouth sous mandat français, le Paris littéraire et artistique des années 1950-196O et les heures sombres de la guerre civile dans le « pays du cèdre ». Ces passionnants Mémoires du poète franco-libanais Salah Stétié valent leur poids d’existence. Mélange incomparable d’aventure, de prestige et de déroute sur la carte d’un monde arabe bouleversé, ils exhalent une puissante odeur de poudre. L’homme qui fonde, en 1955, le supplément littéraire et culturel de l’Orient, l’hebdomadaire francophone devenu l’Orient-le-Jour, avant d’embrasser une carrière d’ambassadeur puis de délégué permanent
auprès de l’Unesco, à la mode d’un Saint-John Perse, raconte une histoire dont la page brûle. Une seule conversation avec Yasser Arafat, rencontre à Marrakech, donne la mesure du climat outré de l’époque. En 1982, Salah Stétié ordonne souvent à son chauffeur de faire demi-tour quand il reconnaît un char israélien posté à un barrage de l’est de Beyrouth : comment accepter de se faire contrôler chez soi ? Et puis éclate un certain tragique
septembre : quand les phalangistes abattent les occupants des taxis qui prononcent le mot « tomate » à la mode palestinienne… Mais avant le premier tir qui mettra le Liban à feu et à sang, en 1974, il y a eu un coup de foudre pour la France, sa langue, sa culture. Le Beyrouth d’après la Première Guerre mondiale, dans lequel grandit ce rejeton d’une famille sunnite férue de poésie arabe classique, est désormais placé sous mandat français à la suite du long joug ottoman. Après la Seconde Guerre, ce sera à l’École supérieure des lettres que Salah Stétié rencontrera son maître, l’étonnant Gabriel Bounoure, homme du profond Orient, aux racines bretonnes. Rencontre remarquable, initiatique, Les poètes, camarades d’exil du grand poète qu’est lui-même Salah Stétié. qui en annonce tant d’autres… Celle de Massignon, l’islamologue inspire dont il suit les cours au Collège de France. Celle d’un inconnu au costume élimé, qu’il ne cesse de croiser au spectacle dans le Paris enjoué des années 1950 : Ionesco. Celle d’Éluard, dans une librairie, se proposant de lui prêter le Livre des morts des anciens Égyptiens, introuvable. Celle du sculpteur César se pâmant devant la statue, place de la République, prisonnière d’échafaudages. Mais rien ne vaut les rencontres qu’on peut faire aux soirées que donne, rue Octave-Feuillet, Suzanne Tézenas du Montcel, modèle d’élégance, grande prêtresse du Tout-Paris d’alors, celle dont on dit que « les idées et la voiture de Madame sont avancées ». S’y pressent les Renaud-Barrault, les Supervielle, les Malraux, etc. Le compositeur américain John Cage confisque, un jour, toute l’argenterie au maître d’hôtel abasourdi et, ouvrant le piano Steinway, improvise une éblouissante leçon de musique concrète. Les conversations nées dans ce « salon dans un nuage » se déplacent l’été dans la demeure de Veyrier-du-Lac, en Haute-Savoie. Au-dessus du lac d’Annecy qu’on aperçoit par les fenêtres, éclatent, certains soirs, des orages dignes de l’olympe réuni pour l’occasion. Mais ce sont les poètes que Salah Stétié apprécie véritablement. Du Bouchet, Bonnefoy, Schehadé, Fouad Gabriel Naffah ou Adonis… Eux seuls demeurent les camarades d’exil et de « lointain intérieur » dont Henri Michaux est l’oeil grand ouvert. Stétié, lui-même poète immense révélé par Dominique de Roux aux Éditions de l’Herne, dit « s’être battu et bâti » à ses débuts, contre son grand ami Pierre Jean Jouve. Combat qui en préparerait d’autres et lui apprendrait à frapper de minutes monumentales le silence des cessez-le-feu…

• Anne-Sophie Yoo

Dernière publication : L’Extravagance,  mémoires (Robert Laffont)

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Questionnaire de Proust 05/02/15

L’Orient Littéraire 05 février 2015

questionnaire_originalQuestionnaire de Proust à…

Salah Stétié
2015-02-05

Poète et essayiste libanais vivant en France, Salah Stétié est né à Beyrouth en 1929. Diplomate longtemps en poste à Paris, secrétaire général du ministère libanais des affaires étrangères, ancien délégué permanent du Liban auprès de l’Unesco, il a fondé en 1955 L’Orient Littéraire et a collaboré aux principales revues de création littéraire et poétique en France, dont Les Lettres Nouvelles, Le Mercure de France, La Nouvelle Revue Française… Il a obtenu en 1995 le Grand Prix de la Francophonie décerné par l’Académie française. Son autobiographie, L’Extravagance, est sortie en septembre dernier aux éditions Robert Laffont.

Quel est le principal trait de votre caractère ?

L’ouverture à l’autre.

Votre qualité préférée chez une femme ?

La volonté d’être.

Qu’appréciez-vous le plus chez vos amis ?

La discrétion.

Votre principal défaut ?

L’impatience.

Votre occupation préférée ?

Écrire.

Votre rêve de bonheur ?

Écrire en aimant.

Quel serait votre plus grand malheur ?

Cesser d’aimer.

Ce que vous voudriez être ?

Ce que je suis, en mieux, autrement dit en plus.

Le pays où vous désireriez vivre ?

Le mien, s’il existait.

Votre couleur préférée ?

La huitième.

La fleur que vous aimez ?

Le lis noctiflore.

L’oiseau que vous préférez ?

Le colibri.

Vos auteurs favoris en prose ?

Montaigne, Pascal, Flaubert, Jouve.

Vos poètes préférés ?

Villon, Djelal-Eddine Roumi, Rimbaud, Al-Mutanabbi, Mallarmé, Claudel.

Vos héros dans la fiction ?

Les ambigus.

Vos compositeurs préférés ?

Bach, Vivaldi, Mozart, Mahler.

Vos peintres favoris ?

Tous ceux avec qui j’ai travaillé, plus Vermeer.

Vos héros dans la vie réelle ?

Les ambigus.

Vos prénoms favoris ?

Les moins voyants.

Ce que vous détestez par-dessus tout ?

La goinfrerie.

Les caractères historiques que vous détestez le plus ?

Les politiques de violences.

Le fait militaire que vous admirez le plus ?

Aucun.

La réforme que vous estimez le plus ?

Celle qui donne la sécurité économique aux pauvres.

L’état présent de votre esprit ?

Mélancolique.

Comment aimeriez-vous mourir ?

Par hasard.

Le don de la nature que vous aimeriez avoir ?

La séduction physique (aussi).

Les fautes qui vous inspirent le plus d’indulgence ?

Les fautes d’orthographe chez les enfants (et les gendarmes).

Votre devise ?

« Passer outre ».

Entretien avec Leili Anvar et Frédéric Lenoir, France Culture 08/01/15

Un poète dans un siècle tourmenté avec Salah Stétié

racines du ciel

11.01.2015 – 07:05 – Entretien enregistré avant les attentats perpétrés contre l’agent de police Clarissa Jean-Philippe et celui de l’Hypercasher de la Porte de Vincennes.

En raison des événements tragiques que nous vivons, Les Racines du Ciel ont décidé de changer le programme de ce dimanche 11 janvier. Comme nous avons rencontré Salah Stétié ce jeudi 8 janvier, grande figure intellectuelle qui s’est toujours engagé contre toutes les formes de fanatisme, nous lui avons demandé de réagir comme intellectuel et ancien ambassadeur du Liban, comme homme de culture qui a consacré plusieurs ouvrages à l’islam spirituel, comme amoureux de la France aussi,  au drame qui se déroule en ce moment même dans notre pays.

Ecrivain et poète de réputation internationale, homme d’action et diplomate, Salah Stétié est un intellectuel d’origine libanaise et de culture musulmane, devenu une figure incontournable de la poésie de langue française. Ses mémoires, L’extravagance (Robert Laffont), retracent son parcours exceptionnel, ses passions, ses combats et ses engagements.

Lucie Cauwe « Les extravagants mémoires de Salah Stétié » 9/12/14

Les extravagants mémoires de Salah Stétié

par Lucie Cauwe

LC1Il a l’air d’un bon-papa gâteau avec ses yeux pétillants de malice et son sourire communicatif. Il est à la fois diplomate, écrivain et poète. Ou écrivain, poète et diplomate. Ou poète, diplomate et écrivain.
Qui est donc cet homme? C’est Salah Stétié, un Franco-Libanais né à Beyrouth fin 1928 dans une vieille famille de la ville. Il publie ses formidables mémoires sous un titre très intéressant, car ouvrant grand les fenêtres, « L’extravagance » (Robert Laffont, 644 pages).

La définition d’« extravagance » du dictionnaire Le Robert correspond assez mal à ce qu’on lit dans ce passionnant récit autobiographique, portant remarquablement son titre. Elle dit: « Etat d’une personne qui n’a pas le sens commun ». Ah, le pouvoir mutilant de la négation. « C’est moi qui ai trouvé le titre », m’explique Salah Stétié. « J’ai toujours pensé que toute la vie était extravagante. L’univers est un délire cosmique, avec des mystères sans cesse plus compliqués. Le mot « extravagance » s’est imposé à moi. Nous vivons sans le savoir en essayant de nous protéger par des croyances ou des cultures. Il y a un mystère infini du langage et de l’esprit. L’autre sens du mot « extravagance », je l’ai piqué à Madame de Sévigné, cette idée d’une forme de liberté de la plume qu’on laisse filer comme elle le veut, sans la corseter. »

LC2Ecrire en liberté, c’est bien ce qu’a fait l’ambassadeur-écrivain dans cet ouvrage prenant, que l’on soit amateur de politique, de littérature, ou que l’on ne le soit pas. Quel itinéraire! Qu’il soit remercié de nous le faire partager en nous racontant le monde qu’il a vu, le monde à la création duquel il a participé. Pour ses mémoires, Salah Stétié a confié sa vie à son œuvre, tout en sachant que la mémoire est une illusion. « Je voulais raconter l’histoire du monde à travers des choses personnelles et des choses du monde à travers la politique et la poésie, car j’ai deux cordes à mon arc. »  On parcourt avec appétit cet itinéraire entre deux rives, entre deux langues et entre deux civilisations.

« Ce livre de mémoires est né d’une pression de l’éditeur », ajoute Salah Stétié. « Mais pour écrire un livre de mémoires, il faut trois choses:
1. avoir beaucoup vécu
2. avoir vécu des circonstances parfois extraordinaires, en bien ou en mal
3. que quelqu’un vous dise qu’il a besoin de vos mémoires. » 
Conditions assurément remplies dans son cas.

Comment s’est-il attelé à cette tâche? « Je me suis installé à ma table de travail », me répond-il. « Et j’ai écrit, chapitre par chapitre, au fil de la mémoire, ce lac profond, cette mer dangereuse, car ce qu’on rapporte de la mémoire, ce sont des choses qu’on aurait voulu oublier et qui ressurgissent de manière terrifiante. Par exemple, l’incendie de la maison familiale quand j’avais un an. Est-ce un vrai souvenir ou pas? On me l’a tellement raconté que tout s’est imprimé quand j’étais en âge de comprendre. Il y a aussi des choses si redoutables que je n’ai pas voulu les raconter, mais elles se retrouvent sous forme allégorique dans mes livres de poésie. Il faut se protéger soi-même par une vie intérieure intense. Mon livre est une longue confession, ce qui est une forme de psychanalyse, avec le risque de se noyer dans sa propre mémoire. » 

On découvre une enfance heureuse, une jeunesse heureuse, berceaux d’une vie qui se déroule comme un conte, avec des allers-retours dans le temps et des choix thématiques clairs. « L’âge adulte m’a vu entrer dans la diplomatie, une diplomatie qui a été très vite de combat, en raison des causes dans lesquelles je me trouvais engagé. La cause palestinienne par exemple, car les Palestiniens étaient présents dans mon pays, le Liban. C’est la cause libano-palestinienne qui m’a poussé à être diplomate. Je l’ai défendue dans la mesure de mes possibilités avant de défendre ensuite la cause libanaise qui est celle de mon pays. J’ai toujours travaillé avec les armes de la diplomatie, des armes pacifiques. »

« L’extravagance » raconte avec force et enthousiasme l’ambassadeur en mission dans différents pays, l’homme qui fait des rencontres extraordinaires, l’écrivain, le poète, né dans une famille qui aime la poésie, le lecteur qui commença sa vie avec les livres par des bandes dessinées, le journaliste. Et bien sûr l’ami des artistes, créateurs de poésie, de théâtre, de peinture ou de musique contemporaine. Une vie de passions, d’amitiés partagées et d’amour, reçu et donné par cet homme qui se présente comme un fondateur, à l’âme d’entrepreneur. « Le livre est positif », assume Salah Stétié. « C’est mon caractère. L’essentiel est le besoin de créer. J’ai rempli ma vie de livres. J’ai toujours été très lié à la création contemporaine avec des poètes, avec la « Revue des Lettres nouvelles », avec des grands peintres dont Pierre Alechinsky. »

Deux autres livres de Salah Stétié viennent de sortir chez Fata Morgana, LC3« L’être », un recueil de poèmes, et LC4« Le chat couleur », un recueil de nouvelles.
« Je suis un auteur qui reçoit beaucoup de lettres de lecteurs », conclut l’écrivain.
« Cela forme une grande armée pacifique d’amateurs de poésie, de guetteurs de sens. Je suis à cheval sur deux mondes, celui de ma profession de diplomate qui n’est pas une science mais un art, et sur la création.
Tant que j’aurai la force de respirer, j’aurai la force de créer. »

Delphine Darmency « L’Extravagance d’une riche mémoire »

Salah Stétié, l’extravagance d’une riche mémoire 28/11/14

par Delphine Darmency in L’Hebdo Magazine, 28/11/14

Du haut de ses 86 ans, l’homme de lettres, séducteur de la première heure, n’a perdu ni son charme ni sa verve. Au Salon du livre francophone de Beyrouth, il est venu présenter son dernier ouvrage, ses mémoires, baptisées Extravagance. L’histoire d’un poète, diplomate, amoureux des mots et de la peinture qui livre la traversée d’une vie et d’un siècle.

mag«La mémoire est une illusion. Plus que ne l’est la vie? Peut-être bien», écrit Salah Stétié. Assis devant le stand de la librairie Antoine au Salon du livre francophone, le poète se prête à un entretien improvisé pendant la signature de ses mémoires. Des mémoires dont il n’est pas l’initiateur. «C’est Jean-Luc Barré, éditeur chez Robert Laffont, qui m’a proposé de les écrire. Il aimait, paraît-il, ma façon de saisir le sens caché des événements et trouvait que je traitais avec beaucoup de subtilité le portrait des hommes», explique le poète. Il s’agissait de m’engager pour une sorte d’esclavage d’écrivain. On a peur de ce que l’on va trouver au fond de soi, poursuit-il. Les souvenirs sont remontés à la surface un peu comme si avec une énorme fourchette, j’avais gratté le fond de ma mer intérieure. Ce que je ramenais était souvent lié à des choses négatives dans mon expérience du monde. Et pour tout vous dire, cela n’a pas été une partie de plaisir, mais je me suis accroché». L’exercice lui aura pris quatre ans, quatre ans pour retracer ses vies multiples, à la fois journaliste, créateur, diplomate et écrivain, comme il se définit lui-même. «Il s’agit d’un livre d’histoire, d’une reconstruction plus ou moins logique, plus ou moins abstraite, souvent illogique d’un moment vécu qui est important car complexe, décrit Salah Stétié. L’écrivain des profondeurs n’est pas un logicien, mais un psychanalyste, reprend-il. Je devenais historien de ma mémoire, dans une sorte de dialogue avec moi-même». Un retour sur toute une vie sans forcément la comprendre pour autant. «La vie est incompréhensible à 99%, souligne-t-il au cours d’une rencontre avec des étudiants organisée dans le cadre du salon. Le vent passe et il emporte le 1% de sens. L’incompréhension c’est aussi l’extravagance. Et ce n’est pas là de la philosophie, c’est de la poésie», affirme-t-il l’index levé.

Bercé par les mots
Ses mémoires débutent, comme elles se doivent, par un retour à l’enfance aux côtés d’un père qui écrivait de la poésie classique arabe. «J’ai passé mes premières années, bercé par des cadences verbales incompréhensibles, mais étrangement séduisantes pour le petit garçon que j’étais et qui s’était mis en tête, en alignant des mots sans suite, souvent inventés, de faire son poème à lui. Voilà comment prennent naissance les vocations», écrit-il. Alors que son père, Mahmoud Stétié, avait appris le turc et l’arabe pour faire carrière en tant que fonctionnaire de l’Empire ottoman, il voit ses projets anéantis lors de l’instauration du mandat français et va pousser son fils à maîtriser la langue du nouvel occupant, celle de Molière. C’est ainsi qu’en lisant Alexandre Dumas, Stendhal, Balzac, Nerval ou encore Théophile Gautier et tant d’autres, le jeune Salah va s’amouracher de la littérature française pour ne jamais la tromper. «Ah, chers, très chers amis de mon enfance, je vous dois tout, le rêve et le réel, les émotions et les indignations, les larmes et les joies, les ravissements et les anxiétés, la fascination des paysages et les questionnements devant la mort. La poésie quoi: l’amour des mots, le sentiment de leur pouvoir», écrit-il encore. Le lecteur vagabonde de souvenirs en anecdotes, de l’entrée des forces victorieuses au Liban en 1942 et la découverte du chewing-gum, aux étés de l’écrivain passés à Barouk jusqu’à son obsession d’enfant de découvrir le sexe féminin. «Cette enfance a été un rêve, mais le Liban ne pouvait suffire à alimenter mon ambition d’aller plus loin dans l’aventure humaine du XXe siècle, précise-t-il. De mes voyages, j’ai eu la possibilité de créer des liens avec tous les grands artistes, les grands peintres du siècle passé et de collaborer avec eux».
L’homme de lettres fut également conseiller culturel, ambassadeur du Liban ou encore secrétaire général du ministère des Affaires étrangères pendant les dernières années de la guerre, de quoi alimenter des mémoires denses et riches. «Ce livre se lit comme une traversée de la vie, lance-t-il. Méditez-le, discutez-le. Je l’ai écrit pour moi, pour diminuer ce fardeau que j’ai sur le cœur, mais je l’ai écrit également pour vous le faire partager et pour qu’il ôte un peu de votre propre fardeau. Ce livre restera comme un témoignage fait après la guerre du Liban», ajoute-t-il. «Mais reste-t-il quelque chose du Liban?», demande une femme venue faire signer son exemplaire. «Oui, il faut être patient, lui murmure-t-il à l’oreille. C’est un processus long; le Liban en vaut la peine».

Delphine Darmency

Edgard Davidian « Les mémoires de Salah Stétié : une leçon d’Histoire »

Un livre intense, fourmillant de détails. Sous un titre imprévisible, «L’extravagance», Salah Stétié publie ses Mémoires aux éditions Robert Laffont (640 pages). Un pavé qui se dévore tel un roman palpitant pour tracer une vie, mais aussi l’histoire houleuse du Moyen-Orient.

Edgar DAVIDIAN | OLJ18/11/2014

 «Un écrivain confie sa vie à son œuvre.» Ainsi s’exprime l’auteur des Porteurs de feu dès la première phrase de sa longue et monumentale narration. Dans un style d’une très haute tenue, Salah Stétié, qui possède à son actif plus de 90 opus entre essais, poésies, traductions et romans, ne pouvait mieux dire. Tout son monde, intérieur et extérieur, est minutieusement passé au tamis de l’analyse et livré (confié pour reprendre ses propres termes) aux pages des livres. Et cela depuis des lustres, ou plus exactement depuis 1972.

Pour en revenir aux sources nourricières et inspiratrices, voici ici une remontée aux origines, c’est-à-dire à la prime enfance, aux alentours de 1928, où l’auteur de L’eau froide gardée voit le jour. Sa voix, sa plume d’écrivain, de poète, de spectateur et d’homme d’action privilégié le guident dans cette ample introspection, cette immersion au cœur de son identité, cette quête pour tenter d’expliquer – du moins partiellement – l’inextricable écheveau des rapports des hommes.

 Introspection de soi et de l’univers qui l’environne, de Beyrouth à Paris, pour un étourdissant périple semé de surprises et de rencontres. Surprises et rencontres certes toujours enrichissantes, toujours pétries de leçons à tirer, mais aussi où le cœur a des déconvenues, où les espoirs tombent comme des murs et où les déceptions sont insondables devant les absurdités des guerres, des tragédies innommables et des luttes fratricides.

C’est avec une gourmande curiosité et à travers multiples casquettes qu’avance ce récit haut comme des vagues démontées, avec pourtant la cadence maîtrisée d’une musique profonde, insidieuse, incantatoire. C’est en écrivain, poète, amateur d’art, traducteur et diplomate que la plume de Salah Stétié scanne, avec un regard sans ménagement ni complaisance, ce retour en arrière de deux mondes, deux rives, deux cultures, deux civilisations. Et qu’il aime aussi passionnément l’un que l’autre.

 L’extravagance? Elle est où l’extravagance pour cette œuvre (qui devait s’appeler initialement, d’après les aveux de l’auteur, Errant sous l’impensable, une citation de Holderlin) au souffle titanesque? Partout dans ce décor de théâtre improbable qui s’étend des terres de l’Orient jusqu’à celles de l’Occident. Dans ce monde baroque et fou, avec ses personnages marquants, anonymes ou insignifiants, ses brasiers jamais éteints, ses créations littéraires diverses, aux sensibilités si proches tout en étant parfois si antinomiques, la littérature reste un fanion qui flotte au vent.

 Un demi-siècle d’histoire littéraire est traversé tel le vol d’un épervier qui hante des espaces où l’ombre et la lumière se disputent en toute insolente férocité chaque carré. Une prose somptueuse pour ces Mémoires d’une vertigineuse érudition. Avec une galerie de portraits attachants, et l’on s’arrête sur les noms de

Georges Schéhadé, Adonis, Pierre Jean-Jouve, Édouard Glissant, Yves Bonnefoy, André Du Bouchet, René Char, sans oublier la part léonine réservée à Charles de Gaulle. Et la liste est loin d’être exhaustive.

Avec aussi une kyrielle d’autres actants de la comédie humaine, hommes et femmes de l’ombre, mais qui ont tous leurs mots à dire, leur action à apporter à la fraternité humaine, leur témoignage à jeter sur le parchemin des parcours des vivants. Pour un commun questionnement à tous les mortels.

 À travers les pages touffues de L’extravagance, qui tient constamment le lecteur en éveil, malgré une profusion de détails, c’est cette soif de connaître et du bien agir que tente de communiquer Salah Stétié, lui l’humaniste, l’infatigable voyageur. Des frontières et des livres.

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