Extrait de Fenêtre d’Aveugle, éditions Rougerie 1998.

Pour n’importe qui, un papier froissé est un papier jetable ; pour Kijno, c’est un papier vivant. Brusquement, ce papier, malmené par la main du peintre, le voici qui se couvre de veines et de veinules, d’artères et d’artérioles, le voici qui, assez miraculeusement, se métamorphose en tissu animal ou végétal, revenant à sa nature première, à l’élément premier qu’il n’aurait jamais dû cessé d’être. A nouveau peau ou parchemin, coupe d’un tronc d’arbre ou constellation de sciure, il est – comme on le dit d’un évanoui – « revenu à lui-même » : revenu donc à ses doutes, à ses hésitations, à ses carrefours, à ses rides, à ce stade sans doute fortement ontologique où la matière n’est déjà plus la matière, où l’esprit n’est pas encore l’esprit. La plus immédiate énigme d’un papier froissé par les doigts de Kijno, c’est qu’il pose instinctivement le problème de l’origine.