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Hommages, articles, études sur l’œuvre de Salah Stétié

Compte rendu de la signature du 30/10/14

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La poésie, « donner à cette folie universelle, un peu de sens » (Salah Stetié)

Rencontre avec un diplomate-poète

Son éditeur, Jean-Luc Barré, dit de lui qu’il « a traversé les époques, et les plus difficiles » : Salah Stetié, poète, écrivain, a publié ses mémoires aux éditions Robert Laffont. L’extravagance, un titre qui préfigure tout un poème, pour un homme qui a côtoyé les plus grands écrivains, entouré de poètes immenses – Bonnefoy, Michaux ou encore Du Bouchet et bien d’autres. « Il est devenu leur frère d’âme », ajoute son éditeur. Rencontre avec cet auteur français, d’origine libanaise. 

Salha Stétié

ActuaLitté CC BY SA 2.0

Venu à la librairie L’Écume des pages, dans le cadre des rencontres Hors les Murs qu’organise le Centre National du Livre, Salah Stetié ne se répand pas en paroles. « La vie est extravagante », lance-t-il au public, avant d’ajouter : « J’ai certainement encore quelques heures, à passer avec mon éditeur. Mais certainement bien moins que je ne le souhaiterais. Profitez-en maintenant. » Pas d’humour noir, peut-être une simple lucidité, mais un sourire franc, convivial. C’est l’invitation au partage.

Bonnefoy, Salah Stetié s’en souvient comme d’un ami de la première heure, « bien avant qu’il n’écrive. Nous gardons des relations très étroites, et il m’a envoyé son dernier livre qui vient de sortir ». Mais il garde aussi le souvenir d’Henri Michaux, bien plus âgé déjà que lui, ou encore André Gide. « Les nourritures terrestres, ce fut un véritable choc pour notre génération. »

Si l’on connaît mal son humour, « caché derrière une attitude solennelle », Salah Stetié est un homme généreux, qui manie la langue française avec la douceur d’un amant. Son souffle poétique est plus tourné vers l’intérieur, mais on le mesure volontiers à un certain Saint John Perse – c’est que les deux hommes ont partagé une carrière de diplomate reconnu. « Il ne manque finalement qu’un Nobel de littérature à Salah », plaisante son éditeur. « Mais la place des poètes dans notre société est réduite. Ce sont des êtres puissants, qui sont finalement peu vus. Voilà une cinquantaine d’années, c’étaient de grandes figures dans la littérature et la vie intellectuelle. »

Au gré des dédicaces, il trouve une anecdote, un mot, toujours empressé de satisfaire la curiosité. Mais c’est en poète qu’il s’exprime, homme chercheur de sens. « La poésie est ce qui permet, quelquefois, de donner à cette folie universelle que l’homme vit, – à quoi il ne comprend le plus souvent rien – de donner, donc, un peu de sens. Oh, par-ci, par-là… » Attention : on ne parle pas de l’art des vers, mais l’art de créer, « l’imaginatif, le sensible, le sensuel, en marge de la vie, mais avec la complicité de la vie ».

Sa poésie, plus tournée vers l’intérieur, lui a offert « de trouver, parfois, du sens. Le poète est un chercheur de sens. Il y a autour de nous, beaucoup de non sens, cette Extravagance, dont je parle. Et de temps en temps, l’étincelle du sens arrive, au coin d’un poème. La poésie n’est pas simplement la poésie dite telle. On la trouve chez Proust, ou ailleurs, dans toutes les œuvres illuminées par une recherche de nature intérieure ».

La poésie, Salah Stetié y vint en souhaitant imiter l’exemple de son père, qui était poète. « J’ai vécu mon enfance dans une ambiance poétique : il était un excellent poète de tradition classique arabe. J’entendais dans la maison, ce langage incompréhensible, et puis, vers 7 ou 8 ans, je me suis mis à faire comme mon père. » Première manifestation du complexe d’Oedipe, ajoute-t-il, facétieux : « Je voulais remplacer mon père dans l’amitié, l’amour et l’admiration que lui portait ma mère. »

Avec 200 ou 300 mots de français dont il disposait, Salah Stetié se met à écrire des vers. « Je les ai montrés à ma maîtresse qui les a vus. Elle m’a dit bravo. Elle les a montrés à Madame la directrice – j’étais dans un collège protestant, très célèbre au Liban. Elle a dit : “Ce sont des vers de mirliton.” Alors je me suis posé la question de savoir si c’était bien ou pas, d’écrire des vers de mirliton. J’ai dû attendre trois ans, que mon père m’offre, pour mon certificat d’études, le Petit Larousse, et là, ô rage, ô désespoir, j’ai compris que j’avais fait de très mauvais vers. »

Et d’ajouter : « Je suis devenu depuis, j’espère, un poète comestible. »

 
 

 

 

Dédicace de la revue « Souffles », Médiathèque de Montpellier, 28/10/14

Rencontre avec Salah Stétié et la revue Souffles

Souffles2

Le 28/10/2014

Soirée dédiée au grand poète libanais de langue française Salah Stétié, avec la revue Souffles qui lui rend hommage pour le numéro spécial paru en juillet « Salah Stétié, d’orient et d’occident ».

Ce numéro est une véritable réflexion sur la Méditerranée et contient des textes inédits, des hommages, des interviews du poète et aussi des contributions iconographiques remarquables.

Une interview filmée, « Salah Stétié à la lumière des mythes », sera présentée lors de la rencontre où seront aussi évoqués les mémoires du poète qui paraissent en septembre chez Laffont sous le titre L’extravagance : mémoires. Des lectures de ses textes ponctueront cette rencontre.

Poète, essayiste, diplomate, Salah Stétié né à Beyrouth en 1929 st l’une des figures marquantes de la littérature francophone libanaise.

Célébrant à la fois une langue française très pure et les traditions de la poésie arabe, il est l’auteur d’une œuvre poétique abondante et très dense. On y trouve les plus sûrs acquis de la poésie occidentale, sa faculté de rupture et d’invention formelle, comme métamorphosés par l’amour arabe de la parole qui, en faisant de chaque poème le couplet d’un chant voué à l’interminable, fait du livre une psalmodie, et lui donne une couleur et une accentuation vocales inédites dans notre langue

Parmi ses très nombreuses publications, citons entre autres Les Porteurs de feu, Inversion de l’arbre et du silence, Lecture d’une femme, et pour les plus récents : En un lieu de brûlure, Oiseau ailé de lacs, Râbi‘a de feu et de larmes, Sur le coeur d’Isrâfil, L’Uraeus, tous parus chez Fata Morgana.

Dans ses mémoires,il dévoile l’histoire de sa destinée et le spectacle du monde, revenant sur plus d’un demi-siècle d’histoire littéraire, aux personnages essentiels qu’il a côtoyés dans les domaines artistiques et politiques.

Rencontre animée par Maxime Del Fiol, professeur à l’université Paul Valéry de Montpellier et spécialiste de la francophonie, et Christophe Corp de la Revue Souffles

Localisation : Médiathèque Emile Zola

Catégorie : Rencontres et conférences

Conditions d’accès: 18h30 – Grand auditorium

Alexandre Najjar « Salah Stétié : le bilan d’une vie » août 2014

imageSalah Stétié : le bilan d’une vie
Diplomate, poète, essayiste, ancien responsable de L’Orient Littéraire dont il fut le fondateur, Salah Stétié a beaucoup lu, écrit, voyagé et observé. Dans un ouvrage intitulé L’Extravagance, à paraître en septembre chez Robert Laffont, il retrace son parcours fécond et nous fait découvrir une foule de personnages connus ou méconnus qui ont façonné sa pensée et marqué sa carrière. 
Par Alexandre Najjar
2014 – 08
Écrire ses Mémoires est toujours malaisé. Peut-on tout dire ? Comment ne rien oublier ? Faut-il s’effacer ou laisser le « moi » haïssable s’imposer au lecteur ? En quoi le récit de sa propre vie peut-il intéresser l’autre ? La vérité n’est-elle pas une notion relative et élastique (« L’histoire me sera favorable car c’est moi qui entends l’écrire », affirmait Churchill) ? En refermant L’Extravagance, force est de reconnaître que Salah Stétié a réussi son pari : ses Mémoires se lisent avec beaucoup d’intérêt et constituent une belle galerie de portraits saisissants. Et même si l’auteur ne s’attarde pas trop sur sa vie privée, il nous dévoile les arcanes de la diplomatie et nous révèle les coulisses du monde artistique dans un style parfaitement ciselé, souvent teinté d’humour ou d’ironie.
L’élève brillant des jésuites 
Stétié commence par nous raconter sa naissance en 1928 dans une famille sunnite de Beyrouth, son enfance heureuse passée auprès d’un père poète, érudit en langue arabe, et une mère cultivée – phénomène rare à l’époque –, dans la capitale libanaise « heureuse et gaie » ou dans le village de Barouk, et sa scolarité au Collège Saint-Joseph des jésuites après un passage au Collège protestant. « Pourquoi mon père voulait-il que je fasse de si bonnes études en français ?, se demande le poète. Parce que lui-même, outre l’arabe, avait étudié à la perfection la langue turque en espérant accéder à une carrière dans l’administration ottomane et que, ses diplômes obtenus, la France était venue s’installer au Levant, réduisant à néant ses rêves de promotion sociale. C’est ainsi que je deviendrai un jour un écrivain de langue française : parce que Mahmoud Stétié, mon géniteur, avait, d’une certaine façon, raté sa vie ! » Le petit Salah est un élève brillant – si brillant qu’il est reçu premier aux deux baccalauréats. Impressionné par son intelligence, un père jésuite tente alors de le convaincre de se convertir au catholicisme. Mais son mentor Gabriel Bounoure, professeur à l’École supérieure des Lettres où il s’est inscrit, l’envoie enseigner à Alep « pour lui donner le temps de la réflexion ». C’est dans cette ville syrienne que Stétié écrit ses premiers textes et qu’il comprend que sa vocation n’est pas de se convertir, mais de défendre un Islam éclairé. De retour à Beyrouth, il apprend qu’il a reçu une bourse pour poursuivre ses études à Paris.
Les lumières de Paris
C’est dans la Ville lumière, entre 1950 et 1955, qu’il découvre le monde des Lettres, fréquente les théâtres, les musées (« Qu’ils étaient tristes, les musées de l’après-guerre ! », soupire-t-il) et le salon littéraire de Suzanne Tezénas ; c’est là qu’il rencontre, entre autres, Paul Léautaud, Paul Éluard, Jules Supervielle, Cioran, Pierre Jean Jouve, Pierre Emmanuel et Yves Bonnefoy. Il participe même à l’aventure des Lettres nouvelles, fondée par Maurice Nadeau, et prend en charge la rubrique « poésie » au sein de cette « jeune et vigoureuse » revue – l’occasion pour lui de découvrir les meilleurs poètes de son temps. C’est à Paris enfin qu’il se familiarise avec la peinture et qu’il fait la connaissance d’artistes de renom comme le sculpteur César ou le peintre Ferdinand Desnos. Cette passion pour les arts plastiques ne le quittera plus : nombre de ses recueils ont été illustrés par de grands artistes (Tàpies, Ubac, Kaliski, Alechinsky, Yann Voss, Kijno…) et la vente aux enchères de sa collection privée, il n’y a pas si longtemps, a révélé l’importance des dessins et tableaux acquis par le poète ou offerts par ses « créateurs amis ».
De L’Orient Littéraire à la diplomatie
Rentré à Beyrouth, Salah Stétié intègre l’équipe de L’Orient, dirigée par Georges Naccache, « tout de nerfs et de subtilités », avec « son regard perçant et dominateur derrière des lunettes d’astigmate aux verres épais ». Il décide alors de lancer l’ancêtre de notre supplément, baptisé L’Orient Littéraire et Culturel, qui fera connaître à ses lecteurs les écrivains français de l’époque, plusieurs poètes libanais comme Khalil Hawi, Adonis ou Fouad Gabriel Naffah, et de nombreux peintres locaux et étrangers. Avec son ami Georges Schéhadé, Stétié accueille aussi une foule de visiteurs illustres comme le poète turc Nazim Hikmet ou l’Italien Ungaretti. Nommé en 1961 conseiller culturel du Liban en Europe occidentale, il abandonne bientôt la direction du supplément pour se rendre de nouveau à Paris. Délégué puis ambassadeur du Liban auprès de l’Unesco, ambassadeur aux Pays-Bas et au Maroc – postes que l’auteur évoque longuement dans son livre, dans des chapitres truffés d’anecdotes savoureuses –, il se voit confier le secrétariat général du ministère libanais des Affaires étrangères. À ce titre, il côtoie la plupart des hommes politiques libanais (comme l’imam Moussa Sadr) et plusieurs personnalités arabes ou occidentales et, installé aux premières loges, assiste aux différentes phases de la guerre… Dans la partie consacrée à la politique, il analyse avec clairvoyance cette période, aborde sans ambages le conflit israélo-palestinien, puis le Printemps arabe, fustige « la vocation suicidaire des Arabes » évoquée par Jacques Berque ainsi que « la naïveté et la légèreté de l’Occident », critique Nicolas Sarkozy mais encense Jacques Chirac et son ami Dominique de Villepin (« Un homme pressé est nécessairement un homme affamé », dit-il à son propos), et émet sur l’Islam (qu’il défendit contre les élucubrations d’un Michel Houellebecq) et les chrétiens d’Orient des considérations qui confirment sa sagesse et son grand esprit d’ouverture.
Au service de la poésie
En 1992, ayant fait valoir ses droits à la retraite, Salah Stétié s’installe en France, à Tremblay-sur-Mauldre. C’est une page qui se tourne. Il peut enfin s’adonner à l’écriture. « Après la si longue interruption de mon travail d’écrivain, il me fallait tout reprendre au point de départ », se souvient-il. Poèmes, essais, aphorismes, beaux-livres, biographies (Mahomet) se succèdent à un rythme effréné, publiés chez Gal­limard, Fata Morgana, Albin Michel, José Corti et Robert Laffont, sans compter l’Imprimerie nationale. Primé par l’Académie française, Stétié voit bientôt ses œuvres complètes réunies en un volume paru dans la prestigieuse collection « Bouquins ». Mais bien qu’il célèbre, à chaque page de L’Extravagance, les vertus de la poésie, l’auteur est amer : il admet avec tristesse que la France, comme l’Europe, tourne le dos à l’intériorité. « Poètes français de demain, nouveaux dinosaures, chers pauvres dinosaures, vous seuls gardez au seuil de la caverne désertée notre or imaginaire et le peu d’eau resté disponible, s’exclame-t-il vers la fin de son livre. N’espérez rien, cependant, au-delà de l’honneur que constitue cette garde. »
Notre dernier « dinosaure » ? Salah Stétié.
Extraits
« Le Liban est un casse-tête dont aucune tête jusqu’ici n’a réussi à réduire les aspérités. Et même les voisins du Liban qui s’y sont employés, ont fini, sinon par véritablement démissionner de cet emploi, du moins par s’accorder un peu de répit en mettant en veilleuse pour quelque temps leur pouvoir de nuisance. »
« Diplomate pendant une quarantaine d’années et missionnaire d’un Liban mangé par les flammes de la guerre civile, elle-même métissée d’autres guerres (celles-ci extérieures), cela n’a pas été facile pour moi. J’aurai été l’ambassadeur d’un incendie. »
« Dans les années 50 et 60, le Liban était pour lui-même comme pour l’ensemble du monde arabe une manière de laboratoire multiforme dans les cornues duquel bouillonnaient toutes les idéologies mondiales, toutes les expérimentations (…). Durant ces années de L’Orient et de L’Orient Littéraire, je me suis mis en tête, avec une ferveur comme adolescente, de donner au Liban – un Liban toujours un peu phénicien, levantin, sceptique et calculateur – sa véritable place dans les cultures de l’Orient : la première. »
« Senghor était petit, osseux, maigre, le front haut bossué sous le cheveu frisé qui tournait au blanc, l’œil étincelant sous le verre des lunettes cerclées d’or, les dents régulières et blanches facilement visibles quand il souriait, ce qu’il faisait souvent avec bonheur. Habillé généralement de couleur sombre, il n’en était pas moins éclairant. Il articulait la langue française avec une forme d’application mais sans hésitation aucune, comme l’aurait fait un professeur voulant que chaque vocable prononcé fût saisi distinctement par ses élèves et s’imprimât aussitôt dans leur mémoire. »
« J’ai pour les maronites, pour les orthodoxes, pour les assyriens, pour les chaldéens, pour les coptes, pour tous les autres, de la tendresse et de l’admiration. L’Islam, qui les a dominés à partir du VIIe siècle, sous sa forme arabe d’abord et dans toute sa gloire, sous sa forme ottomane ensuite, autre gloire, ne les a ni écrasés ni exclus, et c’est tout à son honneur. Quand l’Islam arabe s’est affaissé, à partir du XVe siècle, ils ne l’ont pas trahi non plus et, malgré les relations cordiales et avantageuses que les uns et les autres avaient déjà commencé à entretenir avec les pays chrétiens de toute l’Europe, ils sont restés sur place et sont devenus, à partir du XIXe siècle et justement par leur ouverture à un Occident en plein développement civilisationnel, le ferment dont cette région du monde avait besoin pour se régénérer (…). C’est tout à l’honneur des chrétiens orientaux que d’avoir tenu bon, malgré les impitoyables petites guerres locales, malgré certains persécutions dont ces populations ont pu être victimes, entre autres le génocide, intolérable, subi par la communauté arménienne. »
«Le De Gaulle miniature (Aoun) retournera à Beyrouth, le jour venu, en triomphateur, et finira même, à l’étonnement de beaucoup, par se métamorphoser en thuriféraire de la Syrie, ayant pour Bachar el-Assad sinon les yeux du Don Quichotte qu’il fut, du moins ceux, loyaux, d’une inattendue Chimène militaire. Ainsi allait et va toujours le Liban, ainsi sa zigzagante politique. »
« L’imam Moussa Sadr, aux beaux yeux lumineux et clairs, m’impressionna (…) par une certaine solennité dans sa façon de parler à la perfection l’arabe littéraire avec un fort accent iranien et aussi par un vaste horizon de références culturelles tout à la fois multiples et précises. Ayant, moi, cité Dostoïevski, il me parla de Souvenirs de la maison des morts. Ayant cité Pascal, il me parla de l’auteur des Pensées, comparant certains aspects de son œuvre avec le magnifique Précis de rhétorique de l’imam Ali. »

Revue « Souffles » numéro spécial juillet 2014

Souffles2Numéro spécial « Salah Stétié, d’orient et d’occident »

Présentation à Sète, le mercredi 23 juillet 2014
Sortie du dernier numéro de la revue « Souffles » avec des textes d’Yves Bonnefoy, Béatrice Bonhomme, Michel Deguy, Jean-Luc Barré, Jean-Claude Villain, Pierre Brunel, Michael Edwards, James Sacré etc.

et des contributions iconographiques de : Pierre Alechinsky, Philippe Amrouche, Stéphane Barbery, Jacques Clauzel, Albert Woda etc.

Avec Maxime Del Fiol, Christophe Corp, Voix de la Méditerranée.

 

souffles

 

 

Valérie Sasportas « Salah Stétié, ambassadeur des peintres »

in Le Figaro, 17 avril 2014

Enchères Drouot – mercredi 21 mai – 14h – salle 7

Ancien diplomate, l’écrivain et poète libanais disperse à Drouot le 21 mai, sa collection de beaux livres et de tableaux signés Picasso, Max Ernst, Alechinsky, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls

Lefigaro.frENCHÈRES

Salah Stétié, ambassadeur des peintres

Par Valérie Sasportas

Albert Féraud (1921-2008) Portrait de Salah Stétié, encre de chine, circa 1990. Crédits photo : Drouot/Drouot/ADAGP, Paris 2014

ENCHÈRES – Ancien diplomate, l’écrivain et poète libanais disperse à Drouot, le 21 mai, sa collection de beaux livres et de tableaux signés Picasso, Max Ernst, Alechinsky, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls.

C’est un poète, né il y a quatre-vingt-quatre ans dans une famille bourgeoise musulmane, arabophone, d’un Liban sous mandat français, et qui reçut le grand prix de la francophonie de l’Académie française en 1995, longtemps après avoir fondé L’Orient littéraire et culturel, supplément du quotidien libanais francophone L’Orient. C’est un diplomate, ancien secrétaire général du ministère libanais des affaires étrangères et délégué permanent du Liban auprès de l’Unesco.

Salah Stétié aura marqué son temps et lié sa vie d’amitiés avec des grands peintres, Picasso, Max Ernst, César, Alechinsky, Vieira da Silva, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls, le père du Premier ministre. Il a signé de nombreux livres de ces artistes, qui font partie de sa collection mise aux enchères par le commissaire priseur Jean-Claude Renard, le 21 mai prochain, à Drouot. Trois cents œuvres sans prix de réserve fixés par l’expert, Marc Ottavi. «Mon œil est gourmand de leurs formes, de leurs couleurs, de leurs traits. Grâce à eux, j’ai d’autres mondes que le mien à ma disposition», affirme-t-il.

Avant de s’expliquer sur les raisons de cette vente: «Le Cardinal Mazarin, sur la fin de ses jours, s’était exclamé dans son cabinet de curiosités, «Dire qu’il va falloir quitter tout cela!» Je veux, moi, quitter librement mes amis». En exclusivité pour Le Figaro, Salah Stétié nous a reçus dans sa maison de La Verrière (78), autour d’un thé et de petits gâteaux libanais.

LE FIGARO – Vous souvenez-vous de votre premier choc artistique?

Salah STÉTIÉ – Oui, certes. Il s’est déroulé en deux temps. Dans ma maison d’enfance, il n’y avait pas vraiment de tableaux, mais mon père était amateur de calligraphies. Enfant, je ne comprenais rien à ces lignes tordues qui faisaient sur lui l’effet d’une chanson. Je garderai toute ma longue vie un grand respect pour la magnifique calligraphie arabe, turque ou persane et me suis lié d’amitié avec des agents majeurs de cet art, vivant en France: Saggar, Ghani Alani, Massoudy, avec qui j’ai fait des livres d’artiste. Le deuxième choc de la beauté, occidental, je l’ai reçu quand l’un de mes maîtres à l’École Supérieure des Lettres de Beyrouth, le critique de poésie Gabriel Bounoure, m’a mis sous les yeux une copie de la sublime gravure de Dürer, Melancholia. Du haut de mes 18 ans, j’en fus bouleversé, et aujourd’hui encore. J’évoque cet épisode formateur dans mes Mémoires, à paraître fin septembre chez Robert-Laffont.

Salah Stétié, 2013. Crédit: Salah Stétié

Salah Stétié, 2013. Crédit: Stéphane Barbéry

Il n’y avait pas de musée à l’époque au Liban…

Beyrouth n’avait que son très beau musée archéologique. Les peintres et sculpteurs libanais donnaient à voir leurs œuvres deux fois par an au Salon du printemps et au Salon d’automne. Mais point de galerie d’art. Le désert. Les choses ont bien changé depuis et Beyrouth, à partir des années 1970 notamment, est devenu la capitale des arts de tout le Proche-Orient. J’ai d’ailleurs joué un rôle personnel important dans cette renaissance dans la mesure où, directeur de l’hebdomadaire L’Orient littéraire et culturel j’ai, comme dit l’Encyclopédie des littératures (La Pléiade), «dirigé au Liban l’orientation du goût». Bah!

Quel a été le premier artiste à vous avoir ému à votre arrivée à Paris?

Mon premier ami parisien ne fut pas un peintre mais un sculpteur encore dans l’œuf et déjà iconoclaste: César, massier à l’École des Beaux-Arts, désargenté comme un astre en train de tourner au rouge, et avec qui, régulièrement, je battais le pavé de Saint-Germain des Près. César et moi nous parlions de tout, beaucoup d’art, et aussi de rien: avec nos petits moyens nous pouvions juste nous payer les mauvais cafés de l’immédiat après-guerre, des sandwiches au beurre-fromage et parfois un verre de vin pour la fille qui nous accompagnait si nous lui voulions du bien. C’est lui qui m’a introduit dans des ateliers (celui de Zadkine entre autres) et m’a appris une certaine forme d’intransigeance dans le jugement sur les œuvres.

Votre collection compte deux toiles de Xavier Valls, le père du Premier ministre…

Xavier Valls et moi nous sommes rencontrés chez Suzanne Tézenas, qui nous réunissait, avec quelques amis, Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault, Pierre Boulez, au Domaine musical, une société des concerts qui dura 1954 à 1973. J’aimais beaucoup la peinture de Xavier Valls, très balthusienne. Il fit d’abord un portrait de moi. Puis il m’offrit le dessin d’un couteau pour mon mariage, qui a duré 23 ans.

Xavier Valls (1923-2006), Couteau, Mine de plomb, 1978.
Xavier Valls (1923-2006), Couteau, Mine de plomb, 1978. Crédits photo :DROUOT/ADAGPParis 2014

Quel peintre auriez-vous aimé être?

Aucun. Je ne veux pas être peintre, parce que je ne me suis voué de tout mon être qu’à la poésie, centre et périphérie.

A quoi vous sert la poésie?

La philosophie, à quoi sert-elle? On le sait de reste: à être enseignée. La poésie? Elle ne sert à rien qu’à donner des nouvelles du cœur et de l’âme. La poésie, qui dans le monde entier a longtemps signé les siècles -celui de Ronsard, de Shakespeare, de Dante, de Victor Hugo-, témoigne de sa gloire au passé et peut-être prépare-t-elle l’avenir en tentant de sauver tout ce qui peut l’être de l’homme et de sa langue.

Quel est le mot de la langue française qui vous ressemble?

J’aime le mot «ambiguïté» depuis que Pascal nous a appris notamment que tout est ambigu et tragique.

Le marché de l’art est-il pour vous un outil diplomatique?

L’art, en tout cas, pose aujourd’hui des problèmes à la diplomatie. J’ai été le premier président du Comité intergouvernemental pour le retour des biens culturels, objets d’une appropriation illégale ou de trafics illicites, à leur pays d’origine, installé par l’Unesco vers le milieu des années 1970. J’y suis resté sept ans. J’ai eu à m’occuper du Code d’Hammurabi, des marbres du Parthénon exportés en Angleterre par Lord Elgin et qui constituent depuis l’une des merveilles du British Museum. Aujourd’hui, un bien culturel, par sa valeur symbolique autant que matérielle d’ailleurs, suscite de vastes polémiques et se trouve placé au centre de nombreuses transactions diplomatiques. Voyez les objets d’art et les tableaux volés par les nazis et qui ressurgissent chaque jour sous nos yeux. Voyez les patrimoines menacés par fait de guerre, en Syrie par exemple. Et encore les grands débats d’hier sur le pillage par les grandes puissances de milliers de chefs-d’œuvre nés en Afrique, et témoignant de l’identité de ce continent si terriblement démuni désormais de ses propres signes culturels. La diplomatie culturelle est désormais aussi présente dans les chancelleries et les ministères que la diplomatie politique ou économique.

Zao Wou-Ki, Ghalil Gibran, <i>Le Prophète</i>, éditions Marwan Hoss, 1992.
Zao Wou-Ki, Ghalil Gibran, Le Prophète, éditions Marwan Hoss, 1992. Crédits photo :Drouot/ADAGPParis 2014

L’artiste natif d’un pays en guerre est-il forcément un artiste engagé?

Il arrive à l’artiste de s’engager. Mais seuls les artistes inaboutis se servent de leur art comme d’un lieu d’engagement. L’art ne doit s’engager que dans et pour l’art qui est une des plus hautes expressions de l’humain, sinon la plus haute.

Au Louvre, le projet de département dédié aux arts des chrétientés d’Orient a été abandonné. Comment réagissez-vous?

C’est une erreur regrettable. Les Arts de Byzance et des chrétientés d’Orient sont, dans tous les domaines de la créativité, des arts accomplis, héritiers de bien de civilisations antécédentes et ancêtres de bien de civilisations ultérieures. Cela est d’autant plus triste que les cultures, arts et rituels issus de Byzance sont encore vivants de façon quotidienne à travers les traditions des chrétientés d’Orient et, par contamination de proximité, avec les arts de l’Islam qui, comme chacun sait, ont partagé avec Byzance bien des positions philosophiques et théologiques autant que de techniques de réalisation. Les rituels byzantins et leurs projections sont également toujours actifs dans toute la Russie chrétienne et l’ensemble de l’Europe orthodoxe. De prime abord, cette élimination du neuvième projet me paraît une facilité et, à la limite, une absurdité. À mon sens, le British Museum, ne l’aurait pas fait.

La nation libanaise est-elle un impossible rêve? Les tensions communautaires en Syrie ont fait craindre le retour de la guerre civile.

Le Liban est très menacé, mais il l’est depuis si longtemps (la première guerre civile dura de 1975 à 1990, NDLR), que l’on peut espérer qu’il finira par s’en tirer avec l’aide de ses amis. Et il en a. Ce sera long, très long, mais pas impossible. Le roseau de la fable se maintient là où le chêne se brise. Disons: inchallah!

Une vingtaine de peintres ont réalisé votre portrait. Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous?

C’est un poète et il l’est resté jusqu’au bout.

Lire aussi Une dispersion créative

Herve Allet « a poet of the essence of things »

Salah Stetie is a poet of the essence of things

Born in Beirut in 1929, he has published more than forty collections of poetry both in French and Arabic, in which, as Yves Bonnefoy points out in his inspired préface to Fièvre et Guérison de l’Icône, the poet ventures onto the risky and breathtaking bridge that separates the two languages.

 Stétié is also a remarkable essayist and a poet-ambassador in the tradition of Paul Claudel, Saint-John Perse, Pablo Neruda, and Octavio Paz. Fièvre marks only the second time, after the poetic anthology of Aimé Césaire, that Les Editions de l’Imprimerie Nationale have published an author during his lifetime.

 photo-7Stétié’s poetry encompasses two levels of reality. Ordinary language names the objects, places, and situations that obsessively structure the whole collection as an incantation would: the cool and pure houses of things, the lamp, grapes, our dogs, our books, male and female organs, blood, burning legs, the death of the mother. Then, the disturbing and unexpected layout of words in the poet hints at « l’inconnaissance », a reality that exceeds both language and human perceptions and upsets our systems of representation.

 Incompleteness and iteration characterize Stétié’s poetry. Things are incompletely represented, says Yves Bonnefoy, and therefore they are substituted for an essence. The materiality of the word unveils a network of obscure relationships that echoes the lovers’ fingers weaving the world and contains the memory of a lost primeval unity.

 Iterations delineate the elusive space that lies between the contingent and the immaterial. An extreme pattern of imagery opposes snow and burnimg fire, it unfolds, intertwines, and neutralizes itself through the crystal image of an everchanging light. The lamp, like language, is successively theatrical, rainy, burst out, girl-like, bedazzled, indestructible, undivided, homeless, absolute. A  » great trans-parency  » illuminates golden children and written characters of the poet’s metaphysical insights. The context constantly changes, but iteration  » weakens the context of meanings « , says Bonnefoy. An apparent tautology disintegrates any glimpse of memory and even undermines the notion:  » l’image est endormie dans le feu de l’image « ,  » l’attente de la neige est pure attente pure « ,  » nous avons déplié nos plis « ,  » avec leurs clés dormantes qui dorment « ,  » c’est l’écriture qui écrit « . The balanced architecture of the collection contains a deconstruction of representation which, from images seen and remembered to forces unseen, evokes notions that disintegrate like the broken mirror of a hologram, only to reappear in full on one of the broken pieces.

 A dormant kind of eroticism smolders under the dominant imagery of the burning fire that illuminates the evanescent unity of the collection:  » Elle écarte les jambes… A la fin morte sous le poids de sa lumière / Comme une femme absolue par le sang « . A dreamlike but violent sexuality permeates the text of the painful images of wound, blood, shame, and circumcision. Salah Stétié’s poetry weaves an esoteric network of signs that give shape and reach to the mysteries of existence and rnake of earthly things a prison of blood and sand for the soul :  » Et tout le sable et le sable du sable « .



Hervé Allet. Vanderbilt University

Pierre Brunel « Il faut qu’une parenthèse soit ouverte sans être nécessairement fermée »

par Pierre Brunel
Paris IV Sorbonne

Il y a, vers la fin d’un recueil de Salah Stétié, un poème qui s’achève sur une parenthèse. Mais cette parenthèse ne se referme pas :

 » (Ses dents sont les poupées de la mort

C’est dans le livre publié aux éditions Gallimard en 1980, Inversion de l’arbre et du silence , sous-titré « poèmes », et c’est le poème XLV. La phrase entre parenthèses ne se prolonge pas dans le poème joint (XLVI). Par la suite, on trouve bien des parenthèses, mais elles s’ouvrent ou se referment sur un bref élément de langage ( » un scarabée « , XLVII, ( » cela « ), redoublant un premier cela, XLVIII. Or ce poème XLVIII reproduit aussi cela, je veux dire cette présentation insolite, et la parenthèse ouverte n’occupe plus cette fois-ci un seul vers, mais six, réduisant à la portion congrue, – quatre vers -, le début du texte.
Nous sommes ainsi introduits dans l’œuvre de Salah Stétié comme par une porte qui ne se refermerait pas. C’est , tout d’abord, un signe de différence :

 » (…) admise à la rupture
Et de cela ( cela) modulant
Demeure en la demeure en la maison « 

La littérature, selon les linguistes, se distingue de l’expression ordinaire par sa différence, sa singularité, ce que Roman Jakobson en particulier a nommé l’ écart . Claudel l’a dit simplement, et admirablement , dans l’une de ses Cinq grandes Odes :  » ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont pas les mêmes « . Il n’est pas de mot plus neutre que cela , et pourtant ce simple démonstratif prend un tout autre accent quand le poète, l’utilisant comme une manière de pivot, fait évoluer ou mieux musicalement évoluer le langage dans le vers. La parenthèse, isolant le mot, permet ainsi de l’accentuer, de le faire entendre différemment.
Baudelaire, à la fin du  » Rêve d’un curieux « , dans Les Fleurs du Mal , créait un suspens à la rime :

 » J’étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M’enveloppait. – Eh quoi ! n’est-ce donc que cela ?
La toile était levée et j’attendais encore « .

En réécoutant ces trois vers , on saisit le glissement, dans la parole, de ces mots qui sont apparemment repris, répétés, qui sont les mêmes, et qui ne sont pas les mêmes : cela – (cela) , demeure, verbe – demeure, substantif, demeure – maison, non plus par homonymie, mais par synonymie.
Ce glissement, c’est le glissement poétique par excellence, et dans sa subtilité, le poème de Salah Stétié nous y rend particulièrement sensible.
` Une telle parenthèse ouverte est aussi un signe d’abondance . Traditionnellement, et même mythologiquement, cette abondance est représentée par l’inspiration qui envahit le poète. Il se sent plein d’une parole autre, et elle est pourtant la sienne propre. Le début du poème XLVIII l’exprime admirablement, mais sans démesure aucune, avec cette sobriété qui est si caractéristique de Stétié, une économie de parole qui n’est jamais pauvreté et qui s’allie chez lui avec l’art de l’arabesque :

 » Sous l’orage accompli de la parole
Est la parole, est l’accomplie
Demeure pauvre lampe

Instituée (…) « .

L’orage est passé, ce que Claudel appelle la « déflagration ». Il faut en quelque sorte ramasser les restes, faire une glane de paroles pour constituer la parole poétique, se reconstruire une maison comme après un cataclysme, et mettre en place dans la nouvelle demeure une lampe qui l’éclaire.
Ce dernier motif, celui de la lampe, est remarquablement présent dans l’œuvre de Stétié . Plus discrète que la lampe de Psyché, mais plus sûre , plus secourable pour nous, elle se substitue à l’autre, trop fulgurante, trop dangereuse. Cette substitution est exprimée dans le poème XCVI d’une autre recueil, L’Être poupée, poème (Gallimard, 1983) :

 » (…) une lampe brûlante
Pulvérisée par l’éclat de la foudre
Suivie du déploiement d’une autre lampe
A peine brûlante (…) « 

Cette lampe, tout humaine, permet l’éclosion du poème, le déploiement d’une œuvre immense qui, depuis De l’autre côté du très pur (1973) jusqu’à Fièvre et guérison de l’icône (1999) force l’admiration. Et la parenthèse reste ouverte…
J’ai jusqu’ici employé à plusieurs reprises le mot recueil . Or je ne suis pas sûr que ce soit le mot propre. Car, avec Salah Stétié, c’est toujours de livres qu’il s’agit. Mais il est le premier à savoir qu’une livre, qu’une œuvre se tissent, comme la toile d’une araignée. Et ce n’est pas un hasard si cette image est centrale chez lui. Elle doit assurément être ajoutée aux « Quelques thèmes récurrents et essentiels » sur lesquels a insisté Béatrice Bonhomme dans Salah Stétié en miroir : le silence, le désert, le jardin, l’arbre, le rose, l’amande et le lys, l’épaule, la lampe de nouveau , le feu, le raisin, le vin, la femme, – poupée ou idole, rouge ou noire, Héléna, l’enfant d’enfance , l’ange.
D’une manière plus fine, on peut distinguer dans cette liste des figures (Héléna, l’ange), des thèmes (le silence, la mort), et des motifs (la rose, le raisin). Les motifs animaux sont à ranger dans cette catégorie, comme l’abeille ou cette araignée dont on nous dit qu’elle n’est pas un insecte, mais qu’elle appartient à la catégorie des arachnéïdes. L’araignée, une tisseuse, celle qui assure l’accroissement,  » accroissement (de la parole et, une fois encore, la parenthèse ici ne se referme pas.
C’est l’ « araignée de la parole », comme il est dit dans le poème LXIII de Fragments .

Stétié est avant tout un poète. Il a rarement été tenté par le récit, sauf peut-être dans Lecture d’une femme (Fata Morgana, 1988) , qui est tout au plus une fiction, le possible roman d’un roman. Il est en revanche un grand maître de l’essai. On ne sera pas surpris d’apprendre que, parmi ses grands livres de prose, Ur en poésie (1980), Rimbaud, le huitième dormant (1993), Hermès défenestré (1997), il en est un qui s’intitule L’Ouvraison (José Corti, 1995, avec des calligraphies de Ghani Alani). C’est bien un livre ouvert aux autres,  » à Rimbaud hors soleil « ,  » à Yves Bonnefoy « ,  » Saint Yves de la Sagesse « , au poète trop tôt disparu Christian Gabriel Guez Ricord , dans l’essai qui porte ce titre même,  » L’Ouvraison « . C’est un livre ouvert sur deux cultures, l’arabe et la française (et plus largement l’Européenne). C’est un livre ouvert sur nous par celui que j’appellerai simplement un  » témoin de l’essentiel « .

Michaël Bishop « Pour une ontologie stétiéenne »

Michaël Bishop
Dalhousie University
Canada

« Dans le cercle du cercle / Est le cercle »
(I, 116)

« Respirer puis respirer puis mourir / Ses cheveux de feu dans le chant » (A, 19)

« Voici la vie », écrit en 1994 le grand poète de La Terre avec l’oubli, Salah Stétié, à qui nous offrons ici nos analyses qui sont aussi des hommages.

« voici la vie avec les chambres de ce monde » (T,19). Et tout de suite, malgré l’infinie grâce et la clarté exemplaire du constat, on plonge dans la haute complexité de ce qui nous est donné, les mille nuances du manifeste, le caractère interrogatif de ce qui peut sembler s’encoder comme réponse. Ce que Stétié appelle, dans Fragments: poème, « la fleur fermée de l’être « (F, 58) celui-ci étant déjà à la fois flagrance et opacité, phénomène offert et phénomène se refusant cette fleur, j’aimerais chercher, ici, avec vous, à en pénétrer en quelque sorte le fragile mystère, la si noire et pourtant si lumineuse beauté. Je parlerai ainsi d’abord de Fragments: poème et procéderai chronologiquement jusqu’à La Terre avec l’oubli, ceci avec des insistances, au nombre de huit, très variables quant à leur longueur, très variées quant à leur mode.

LA PONCTUATION DE L’ONTOLOGIQUE
Le deux-points qui se trouve au cœur du titre de Fragments: poème peut être considéré comme étant un des grands emblèmes d’un ontos qui, à la recherche d’un logos adéquat aux besoins expressifs de celui-ci, ne cesse de s’articuler en se désarticulant. Signe à la fois de l’équivalence et de l’opposition, de ce même et de cette différence dont nous parle aussi Michel Deguy, le deux-points travaille dans le sens de la définition, de la révélation même, des phénomènes de l’être tout en optant pour une juxtaposition où l’interpertinence de A et de B, ici du fragmenté, du partiel, et du poétique, du créé, du totalisant, reste enfin implicite plutôt que dit. Le deux-points à la fin de l’avant-dernier fragment (F, 105), surplombant le vide, le blanc, le « vide papier » quasi-mallarméen pourtant paginé et numéroté, n’invite-t-il pas d’ailleurs l’impossible équivalence de la figuration et du néant, de la parole et de l’indicible, du déjà dit et de l’indéfinissable? Et, effectivement, très nombreux sont, chez le Stétié de Fragments: poème, les signes de ponctuation, tantôt conventionnels tantôt loin de tout usage normatif, qui semblent vouloir trahir, traduire, le rapport difficilement vécu de l’être et de la conscience de sa précarité. Permettez-moi d’en privilégier rapidement quelques-uns: 1. les tirets, les traits d’union inhabituels, les traits obliques, qui, tous, mettent en valeur le paradoxe, la question, du rapport, l’hésitation entre interdépendance et désunion; 2. les points d’interrogation qui, là encore, multiplient les incertitudes tout en insistant sur l’intensité des fascinations et des pénétrations ontologiques amorcées; 3. les points (cf. F, 30), les virgules (cf. F, 36), les deux-points (cf. F, 35), les points-virgules (cf. F, 32) qui ne viennent qu’au vers suivant, et ceci, souvent, et bizarrement, après un autre signe de ponctuation au bout du vers qui précède directement, le texte devenant ainsi un lieu d’indication et de contre-indication syntaxiques excessives, le site d’une dysfonctionalité implicite là où on s’attend à un éclaircissement, une orchestration lucide de certains aspects du sens et de l’être; 4. les parenthèses ou ordinaires ou complètement inattendues (cf. F, 22), qui peuvent même choisir parfois de ne pas s’ouvrir même si elles se ferment (cf. F, 93) et qui toujours compliquent et problématisent un discours déjà richement métaphorique et allégorique qu’elles cherchent ainsi, simultanément, à désambiguïser, à nuancer; 7. la séparation de l’article défini et du substantif souvent placé au début du vers suivant (cf. F, 24, 37), séparation qui déstabilise et déroute à l’intérieur pourtant d’une logique, d’une ontologie, de la continuité; 8. la virgule qui termine le poème (cf. F, 29, 55), tout en le suspendant au-dessus du vide, au bord d’un abîme d’inachèvement radical, virgule-pause coupée de cette plénitude ontologique que représente en principe toute phrase s’installant dans sa définitivité élocutoire; 9. les traits d’union qui surgissent là où ils ne sont pas pour ainsi dire nécessaires (cf. F, 42: « per-/-Dant pied, le ciel se re-/-Fermant sur / »; F, 68: « … Le corps a-/-Vec des lèvres » et qui reposent la question du caractère unifiable, fusionnable des fragments de l’ontos, celui-ci assumant une logique, une logie si j’ose dire à repenser, un monde à refaire, à refigurer comme disait Ponge; 19. les exclamations qui ponctuent certains fragments et qui manifestent non seulement cette intensification affective du discours de l’être, mais aussi ce sentiment d’impasse, d’incapacité qu’éprouve parfois Stétié face à l’épaisseur, malgré l’éloquence exceptionnelle de son œuvre car l’exclamation reste aussi le signe de ce qu’on n’arrive pas à verbaliser, le signe d’un ontos qu’on ne dit, imparfaitement, qu’à travers cet élagage en quelque sorte synecdochique; 11. les points de suspension qui marquent une ontologie de l’incomplétion tout en débouchant sur l’espace d’une riche virtualité à la fois auctoriale et lectorale; 12. ces espaces blancs qui peuplent et ponctuent, qui a-ponctuent, si je peux dire, les fragments du poème, rythmant, discontinuant et enchaînant, dénouant et coordonnant, tout comme ces vers qui, la ponctuation s’effaçant totalement, obligent à une lecture à la fois compactée, accélérée, et ralentie, lentement approfondie, et donc à une ontologie à jamais se repensant.

L’ONTOS : UNE GÉOGRAPHIE LIMINAIRE
Lire l’œuvre poétique de Salah Stétié et je puise toujours pour le moment dans Fragments: poème c’est pénétrer dans un territoire ontique assez particulier. Si le corps et l’esprit restent, et dès le début, des figurants principaux (cf. F, 7, 9), l’arbre et ses fruits assument tout de suite une haute pertinence et ceci dans un monde conçu comme un microcosme familial emblématique mère, fils, etc. s’ouvrant pourtant sur un macrocosme qu’habitent anges et déesse. Si les conditions ontiques peuvent s’avérer heureuses limpidité, lumière et lampe elles semblent souvent se dégrader selon une vaste poétique de la faim, du froid, de la dureté où douceur et consolation, beauté et rayonnement risquent de se noyer dans une conscience implacable de la douleur, de la brûlure, des larmes et de la crucifixion. Si, ainsi, s’esquisse le geste d’un don fondamental où s’affirment la plénitude des apparitions et la soudaineté de « cela » qui émerge et qui, « encore étant » (F, 31), persiste, et si, aussi, se déclare la possibilité d’une nomination, d’une inscription du cri de l’être, il n’en est pas moins vrai qu’une poétique du désert, de l’absence, de la nullité, du « presque rien » installe, au cœur de toute cette énergie assertorique, une négation, une logique de la « défiguration » et de la non-poiesis ou de l’hésitation du poiein (cf. F, 52). Et, effectivement, une conception de ce qui est double (cf. F, 57) complexifie souvent la conception stétiénne de ce qui est. Ce qui ne devrait pas étonner: ce que j’ai appelé la géographie de l’ontos est fondée sur le principe d’équations mouvantes, d’une figuration instable, en perpétuel devenir. Tout ici est drame, théâtre, opposition, imbrication, traversée, passage, dispersion, rassemblement, dialectique, synthèse.
Fragments: poème est, en effet, très riche sur le plan ontologique. Parfois c’est l’être-là des phénomènes qui fascine (F, 11); à d’autres moments, c’est l’être-dans, « l’être dans les raisins » (F, 68) ou ce que Stétié a tendance à nommer l’être-par, « par le sel et la nuit et la barque amoureuse / Par la lune qui multiplie ses objets » (F, 17), par exemple. Mais toujours l’être se manifeste à la fois dans sa multiplicité (cf. F, 13), dans le caractère abrupt de son irruption (cf. F, 29, 34) et, paradoxalement, malgré une conscience du mortel, sur le mode d’une continuité, d’une présence se dépliant ici et maintenant, ceci et cela « étant », tout comme « la mort étant » (F, 31). Mais tout se complique rapidement: le ciel est « construit sur l’être » ni être-là, ni être-dans, ni être-par (F, 12); « le blé de l’être » (F, 15) se double de « l’autre blé de l’être » (F, 16); le paradoxe de « l’être du non-être » (F, 17) s’affirme; les choses telles qu’on les désigne habituellement sont et en même temps ne sont pas, « sa main étant, sa main n’étant » (F, 35); l’être qui reste « nuageux » ne cesse de « brill[er] dans le / Sommeil à venir (F, 68); la clarté de l’énigme ontique est si intense « De non-mourir étant mourir, dé si clair » que le jeu de sa lumière risque de nous aveugler; l’être, à la fois là, dans, par, sur, se transmute incessamment, ce qui explique pourquoi le « corps n’est plus le corps » et cette insistance anaphorique sur le sera, dans, par exemple, le fragment poétique XXXV (F, 41, cf. 56). D’ailleurs, chez Stétié nombreux sont les passages où les modes de l’émergence ou du maintien de l’être sont elliptiquement évoqués: l’être peut paraître dépendre d’un désir de création ou de modification (cf. F, 18); l’être peut sembler inexister sauf tel que nommé, en tant qu’être-comme (cf. F, 22) ; la représentation de l’être devient ainsi un processus où figuration, défiguration et refiguration sont le même acte (cf. F, 40); l’ontologie de la définition est ainsi, à son tour, une ontologie de l’interrogation (cf. F, 44).

QUELQUES FIGURES D’UNE CONSTRUCTION ONTOLOGIQUE
Toute l’œuvre de Stétié témoigne d’une grande sensibilité structurale et stylistique. Il ne s’agit pas pourtant d’un effort pour sculpter, ciseler et esthétiser une méditation qui dépasse visiblement des intentions axées ou sur le prestige d’une orchestration rationnellement dominée, logiquement élaborée, ou sur la beauté architecturale d’une grande quantité de figures, de construction et autres, qui, précisément, rompent avec l’ordre simple et la cohérence classique des mots et des notions qu’articulent ceux-ci. Non, les figures de construction et d’autres figures qui abondent dans Fragments: poème, et je ne parle pas pour le moment des figures de rhétorique toutes ces figures, principalement des ellipses, des attractions, des imitations, des anacoluthes, parenthèses, synchyses, tmèses, hypallages, répétitions, allitérations, anadiploses, anaphores, isocolons, paronomases, réduplications et synonymies toutes ces figures, dis-je, esquissent un mouvement, qu’on peut considérer comme naturel, intrinsèque, des formes de l’être-comme, du dit, du débit se structurant. La distance que crée la rupture, loin d’être factice, aberrante ou enracinée dans un orgueil banalement esthétique, cherche, mais spontanément, intuitivement, à mimer, mouler les plis et les replis, les compli-cations, d’une pensée se cherchant, s’ordonnant et se construisant, selon les rythmes irréguliers et ontiquement mimétiques d’une vieille langue qui ne cesse pourtant de se renouveler. Ainsi les ellipses réussissent-elles à dire, emblématiquement, les manques et les trous de l’être tel que celui-ci se manifeste; ainsi les anacoluthes, les synchyses et les tmèses constituent-elles ce qu’on peut même considérer comme étant une allégorie presque oubliée de ce qui, dans l’être, paraît discontinu, sans suite, confus, bouleversant, peu conforme à cause de ces disjonctions et coupures, à la conception rationalisante, idéalisante, humanisante que nous tentons d’imposer. Ainsi, l’hypallage, permet-elle de mieux apprécier, non pas la résolution d’un problème de désignation, mais, plutôt, les glissements et échanges de la langue qui, plus profondément, évoquent l’heureuse mais souvent si frustrante plasticité d’un ontos qu’on figure tant bien que mal. Ainsi, les répétitions, les allitérations, les anaphores et les anadiploses ne cherchent-elles pas simplement à décorer, à embellir, à s’installer dans la gloire d’une beauté toute de jeux de surface, de scintillements artisanaux, mais plutôt à nous faire comprendre la gamme infinie des moyens dont dispose l’être pour se renouveler, se ressourcer, se transformer en puisant dans ce qu’il est déjà, pour s’infinitiser en chantant ses propres forces composantes, les rythmes jamais arides, toujours à recréer, de sa poiesis, c’est-à-dire des jeux de l’ontos, de l’être. Ainsi l’isocolon, loin d’être une simple harmonisation des membres d’une période, le geste d’un esthète pour qui seuls doivent compter les raffinements du poème pensé, vécu comme phénomène d’excarnation ainsi l’isocolon devient-il le symbole d’une orchestration ontique magistrale où l’infinie distinction des éléments de l’être se double d’une harmonie et d’un équilibre qui étonnent. Ainsi les paronomases et les réduplications servent-elles moins à jouer, pour le prestige ou même le plaisir intellectuel, avec certains mots en rapprochant des paronymes on en répétant volontairement certains mots ou syllabes qu’à nous permettre de mieux saisir quelque chose de l’infinie complexité des jeux, des fonctionnements, d’un être qui, dans l’opacité de telles actions nous défie, tout en s’illuminant de cette lumière constructive qui lui est propre.

UN POÈME
Pour évoquer, et beaucoup trop succinctement, Inversion de l’arbre et du silence, j’ai choisi de parler du poème XXIV, « Lampe éveillée dans l’herbe » (I, 30). En voici le texte:
Lampe éveillée dans l’herbe
Selon l’espoir du sens
Et recueillie dans la lumière double

Ô épervier irradiant le dieu du sens
(Les serres serrant le sens)
-Le trèfle des prairies fixant l’envers du sens

D’aucun sens est le sens dit le sens
Allumé en foyer d’oubli ce peu d’herbe
Par mouvement de prairies dans la mort
Je n’insisterai pas sur l’élégance structurale des faux tercets, sur la pertinence des parataxes et des participes présents, sur l’absence quasi totale de verbes finis, le refus de toute ponctuation et le flottement sémantique qui en découle, sur la force des métaphores non contextualisées, sur l’ambiguïté de certaines fonctions grammaticales (: le dit de « dit le sens »). Qu’il suffise de dire que tous ces éléments, ici, comme partout ailleurs, problématisent et infinitisent à la fois une textualité pourtant très riche, paradoxale, jamais close quoique repliée en quelque sorte sur les délicatesses des osmoses qu’elle verbalise. Le poème débute par une insistance tout à fait caractéristique sur ce qui est là, s’illuminant abruptement, mais de façon implicitement intermittente. Cette irruption, cet éveil, semble d’ailleurs jaillir d’un sens qui mène, pour ainsi dire, sa vie à part, qui est source, qui espère où?, comment?, on ne sait pas: dans les choses, dans la conscience, dans le sens lui-même? au cSur, en tout cas, d’un être, d’un ontos qui, étrangement, semble avoir besoin de l’individu, semble vouloir s’offrir à une expérience donnée, à un moment de recueillement, de rassemblement langage et illumination se produisant pourtant dans cette « lumière double », révélée-secrète, accessible-indicible. … L’apostrophe « Ô épervier » , ce cri de reconnaissance allégorique, s’adresse, si directement, si impuissamment, et dès le début de la première strophe, aux choses, aux figurants de l’être, pris dans les serres de ce qui est / ce qui est figurant / ce qui est figure, toute la scène, mythique, allégorique, vue, vécue, s’opposant aussi à celle du « trèfle des prairies fixant l’envers du sens », où l’imaginable, le vu, arrive à saisir la face secrète de ce qu’on nomme le sens. Un sens invisible donc, mais pressenti et qui, dans son mystère, provoque simultanément, moins une crise de confiance (« d’aucun sens est le sens »), car la conscience reste de la possibilité de fixer « l’envers du sens », du moins conceptuellement, mentalement moins une crise de confiance alors, qu’une prise de conscience de l’infinité de tout ce qui « est le sens ». Mais ici l’ambiguïté grammaticale semble déstabilser l’équation dit, est-ce un participe passé ou un verbe fini? tout en finissant par ne rien déstabiliser, car si tout ce qui désigne mal, tout ce qui est mal vu mal dit, écrit Beckett, met en question la structure même de l’être, celui-ci ne s’efface pas pour autant, prenant tout simplement la forme d’un dire inadéquat à la réalité et aux structures de l’ontos. S’il s’agit d’un verbe fini, c’est le sens qui explique ce qu’il est ou n’est pas (« d’aucun sens »); s’il s’agit d’un participe passé, le poète réussit à souligner à quel point ce qu’on appelle le sens n’est précisément que « le sens dit le sens », reste c’est-à-dire sous le signe des signes, du dire… Et pourtant ce sens d’aucun sens qu’on appelle le sens… est vécu: il s’allume « en foyer d’oubli », lieu à la fois d’intensité, de centralité, et de spécificité ou de ce que Stétié appelle ailleurs « unicité » (I, 21), et lieu d’absence, d’oubli, parce que lieu de mots, de langage aussi: herbe, ici, ce peu d’herbe, herbe doublement, triplement dérisoire et néanmoins magnifique: dérisoire, car chose insignifiante, peu ou mal nommée, mortelle, que retiennent, que saisissent mal l’homme, la femme, et le langage; magnifique, car étant, car lieu d’illumination, car pris dans la vastitude du cosmos et le mystère de la mort, du non-étant, ce que Stétié appellera aussi « l’immortalité de ce mourir » (I, 117).

RHÉTORIQUE DE L’ONTOLOGIQUE
Noter, trier, cataloguer, les nombreuses figures de rhétorique on les appelait plutôt jadis figures de pensées, ce qui, déjà, convient un peu mieux à mes desseins faire un tel travail de classement ne m’intéresse que de façon très marginale. Si, ainsi, je me suis penché ici sur le rôle des métaphores, des métonymies, des antithèses, apostrophes, exclamations, interrogations, concessions, aposiopèses, paralipses, litotes, accumulations, descriptions, hypotyposes, déprécations, obsécrations, etc., c’est que je voulais, un peu comme je l’ai fait pour la ponctuation et les figures de construction, montrer la pertinence d’une telle appréciation des modes de pensée préférés de Stétié dans le contexte d’une étude sur la conception de l’être, les façons, c’est-à-dire, que peut avoir un homme de conceptualiser les modes de l’ontos. Faute d’espace, je serai, et sans doute heureusement, bref. Mon point d’ancrage, c’est Nuage avec des voix, mais les preuves sont partout dans cette œuvre poétique si splendidement conçue et méditée. Prenons quelques exemples: l’accumulation et l’énumération, jamais flagrantes chez Stétié nous sommes loin d’un Perse ou d’un Claudel à cet égard permettent pourtant de privilégier des facteurs de multiplication et de juxtaposition ontiques, facteurs qui invitent à l’élaboration d’un intelligible mais qui se replient sur la constatation d’une pluralité infinie; le paradoxisme, qui, au lieu d’autoriser une vision univoque, simpliste, ne cesse de rappeler tout ce qui, ontologiquement, échappe aux catégories, même complexes, de notre rationalité, comme un arbre dans la profondeur de son mystère fuyant nos équations socio-économiques, bio-physiques, etc. les plus sophistiquées; la description et l’hypotypose, là encore jamais si transparentes, car toujours plus contemplativement métaphorisées, allégorisées même, que chez Ponge ou le premier Deguy, et qui, tout en cherchant à évoquer, dire même le plus directement possible, les phénomènes qui sont, les choses de l’être dans la simplicité de leur présence, permettent de saisir la relativité, la qualité strictement et humainement symbolique, des désignations et dénominations; l’apostrophe et l’exclamation révèlent d’un côté l’apostrophe toute cette énergie celle du « sujet » regardant-parlant et/ou celle de l’objet regardé-parlé qui propulse le poète vers tout ce qui est manifeste ou même vaguement pressenti dans l’ontos, car l’apostrophe est appel, adresse, mouvement vers ce qui, étant, à son tour appelle et s’adresse; de l’autre je passe à l’exclamation toute cette même énergie du cri, face à ce qui est, ce qu’on est, exprimant l’émotion de cette convergence au cSur du langage de ce qu’on convient d’appeler le sujet et l’objet: mais l’exclamation, si elle est aussi, comme l’apostrophe, ce réflexe qui, immédiat, impulsif, spontané, donne l’impression d’un contact étonnamment prometteur avec l’ontos, reste également, peut-être finalement, le signe d’une inadéquation de la parole devant les « muettes instances », comme disait Ponge, des choses, des étants: l’exclamation débouche en effet sur un vide, un indescriptible, le non-dit de l’être, et si le discours reprend, toujours plus ample, rationalisé, autre, l’exclamation reste toujours le signe d’une aporie ontologique toujours ressurgissant; l’aposiopèse, cette interruption brusque et affectivement révélatrice d’une construction, et la paralipse, cette action qui passe sous silence pour, effectivement, mieux mettre en relief, voici des figures, certes distinctes l’une de l’autre, qui, pourtant, toutes les deux, parviennent et en ceci elles ressemblent à l’exclamation parviennent à dire un être qui s’esquive tout en mimant en quelque sorte la minimalité, le silence relatif, le caractère indicible, irrévélé de celui-ci: passer sous silence, s’interrompre brusquement là où on s’attendait à une plénitude enfin articulée, n’est-ce pas une façon de signifier ce sens d’aucun sens dit le sens qu’évoque le poème-fragment XXIV?; l’interrogation, figure fréquente chez Stétié, est le signe manifeste de l’instabilisabilité des rapports qui existent entre le moi qui cherche à dire et tout ce qui reste à dire: elle est la marque indélébile de tout ce qui, tout en paraissant solide dans son être-là, s’efface, devient provisoire, de nouveau réduit à zéro, à ce néant qu’en même temps l’interrogation se hâte de refuser, toute désignation s’offrant comme inacceptable quoique susceptible d’éphémère démonstration; l’antithèse, « l’antithèse universelle », disait Hugo, plutôt que d’inviter à une synthèse Kantienne plutôt tranquillisante, rassurante, tend, chez Stétié, à être comprise, de façon derridienne, je dirais, comme le signe de cette différence ontologique et ontique aussi, peut-être qui semble résider au cSur de la parole et qui, là encore, empêche celle-ci de stabiliser, de dire, quoi que ce soit, ontiquement parlant. Je n’irai pas plus loin, mais une étude de l’onto-logique de la métaphore, de la comparaison, de la métonymie, du chiasme, de la synecdoque pourrait donner, il me semble, des résultats parallèles.

NUAGE AVEC DES VOIX: SEPT REMARQUES SUPPLÉMENTAIRES
1: dès le seuil, ce livre de Salah Stétié se fonde sur une ontologie du don: ses absences, ses lacunes, ses « soupçons » (cf. N, 46) s’offrent, geste parlé d’être et de nuage, à un être, ici humain, qui motive reconnaissance, échange et célébration (même difficile). 2: la préposition du titre, avec, est non seulement le garant d’un accompagnement pluriel vécu, personnel, incontestable malgré le caractère non répétable de toute expérience solitaire, mais elle est aussi le symbole de tout ce qui permet de voir notre ontologie comme une ontologie des rapports, des relations, des imbrications donc d’une multiplicité, d’une infinité, même, là où on ne croit voir qu’un océan de phénomènes isolés. 3: la conception du divin chez Stétié est d’une grande « complexité céleste », comme écrit le poète (N, 44). Pour l’articuler pleinement, il faudrait parler simultanément de l’égarement de Dieu (cf. N, 17), d’une déshumanisation qui l’accompagne (cf. N. 21, 23), de sa qualité à la fois abstraite, « antique », « irraisonnée » (N, 44), et, si j’ose dire, métaphoriquement, métonymiquement, concrète, « habillée d’herbe, et d’herbe » (N, 44). Et il faudrait esquisser la logique des liens entre tous les phénomènes de l’ontos, expliquer par exemple ce qui autorise à dire « et je te dis inféodé à la nuée » (N, 36) ou à parler des « triangles imaginés » de « l’esprit de l’Être » (N, 18), expliquer comment les « joliesses [peuvent être] / reprises dans le souffle / en imbrûlée brûlure » (N, 25), et ainsi de suite. 4: l’ontologie de ce que Stétié appelle « l’incréé » (N, 15) reste aussi à approfondir: elle rejoint, me semble-t-il, nécessairement toute une série de fascinations stétiéennes, là encore à la fois abstraites et concrètes: celles du néant, du mourir; celles de l’éphémère et du devenir; celles de la mère et de l’enfant; celles de l’esprit et de la poésie, du poïein. 5: la soi-disant détérioration de l’être, l’atrocité de l’immanence telle que conçue à certains moments, oriente, paraît-il, à la fois vers ce que Stétié nomme le « très limpide » (N, 39) et vers ce qu’il choisit parfois d’appeler « le terrible chant qui va venir » (N, 59): simple mouvement de la mortalité humaine? apocalypse? catharsis? jugement et musique des sphères à la fois? Le glissement mortel, la chute dans l’informe, compris comme étant une antimaternité, une dé-naissance du dés-ordre cette psychologie (: car toute ontologie est aussi une psychologie), qui nous plonge « dans le flamboiment », comme écrit si pertinemment Stétié, « frôlés d’images » (N, 56), nous réserve tantôt, et peut-être toujours simultanément, une « fulgurance » éblouissante (N, 42), tantôt une attente de l’immense qui est synonyme de méditation (cf. N, 40), tantôt le sentiment de s’installer enfin « au seuil de l’origine » (N, 51); 6: la beauté des phénomènes qui sont est déjà considérée comme une écriture, immanente et transcendante à la fois, fondamentale et pourtant insuffisante dans la mesure où on la lit peu ou mal: elle ne peut donc qu’attrister (cf. N, 45) et Stétié incite à comprendre que toute reconnaissance axée sur l’extériorité doit aussi s’accompagner d’une reconnaissance de la beauté, du sens, de la profondeur de l’intériorité; 7: c’est dans cette optique que l’ontologie de l’amour, phénomène secret, enseveli, dirait-on, au cœur de toute expérience, toute logique, doit se déchiffrer, se faire, se défaire. Cette « absente colombe », comme Stétié le désigne à la fin de Nuage avec des voix, ne serait-elle pas cela qui permet de réconcilier « la tuerie éblouie » (N, 44) ou les « larmes/… accusées » (N, 41) et la « lumière en gestation métaphysique » (N, 41), « le dernier mot *_ s’éteindre +_ » et ce qui nous pousse à « l’accueill[ir] et l’aime[r]? L’amour, ne serait-il pas par excellence ce chiasme, au centre duquel l’absence redevient présence, sans lequel tout ce qui est n’est que cendre, doute et prière (cf. N, 25, 26) impuissante?

AFFIRMATION ET DÉNUEMENT, THÉTRE ET MUSIQUE
L’Autre Côté brûlé du très pur présente mille visages successifs et entremêlés et le portrait que je peux faire ici de ce beau recueil reste ainsi très partiel, très partial. L’ontologie qui s’y déploie se fonde peut-être surtout sur le caractère instable de la perceptibilité de l’ontos: « Où sommes-nous diurne ma divine / Plus simple que le simple simple fruit » (A, 29) et plus loin dans le même texte: « Où sommes-nous, où sommes-nous, apparence, / Cette nuit où l’amour, lui seul, brûle nos nids? » (A, 29): perceptibilité, simplicité, apparence, expérience inaliénable, d’un côté; de l’autre, mouvance, flottement, ce que Stétié appelle dans le même livre « tables inachevées du questionnement » (A, 70) et même présence « en formation de songe » (A, 59). Et, effectivement, l’ontologie stétiénne hésite toujours, et avec sagesse, entre l’affirmation de l’être comme un lieu de flagrance viscérale, à la fois illusoirement et authentiquement vérifiable, si je puis dire, et l’expérience de ce qu’il faut bien appeler l’être mais qui, comme cette « pensée / De la pensée devenue lampe vive / Enracinée dans le charbon de l’être » (A, 42) ou « ce nu dénué d’être » (A, 27), s’avère pénétré, mystiquement et Stétié est certainement un grand mais très sensuel mystique , de vide, d’absence, de néant, ou mieux d’atemporalité, d’aspatialité. Rien d’étonnant si le nuage chez Stétié s’offre « ailé de transparence » (A, 66), si l’oiseau qui « nous garde » devient « l’oiseau d’icône vide » (A, 67), si « le sens endormi est bien le sens » (A, 65). Tout comme le corps (cf. A, 61), mais aussi comme ce que Stétié appelle « le non-physique » (A, 16), l’être est un lieu, un non-lieu dirait Bernard Noël, de « théâtre », de théâtralité, de jeu, si l’on veut, de libre fonctionnement ontique, « labyrinthe / Formé fermé sur sa disparition » (A, 61), tout comme il s’ouvre à sa création, sa naissance, sa continuité. Cette notion de jeu, mallarméenne, mais aussi pongienne (: l’objeu, l’objoie), permet de déceler, au cSur de la poétique stétiéenne, une ontologie à la fois de ce qui est en jeu et des morceaux qu’on peut arriver à jouer, si l’on s’adonne à l’étude de ce qu’on est:  » L’homme habite une maison de verre « , écrit Stétié, « et le violon de ce qu’il est est son triomphe » (A, 86). Une telle musique ontique, une telle création/auto-création, ne doit pourtant pas être comprise comme se produisant à l’apogée d’une clarté et d’un accomplissement: la musique de l’être que nous sommes et qui est notre « triomphe » est surtout rythme, alternance, dialectique, cadence, mouvement. « Noble maison par le volubilis », écrit si magnifiquement notre adepte de la mystique soufie (cf. NU(e), 3, 12), « dans la maison de l’être / Écrite elle est lueur / Lueur dans la lueur / Elle est délaissement de la lueur » (A, 88). « Le vin d’été » et les « rossignols d’été » (A, 90), les choses du temps de l’être, du temps de ce qui a été, voici, certes, ce qui caresse, fait vibrer, les cordes de ce « violon de ce qu'[on] est », « nuages », comme dit Stétié ailleurs, « suspendus amoureusement dans la parole » (A, 91), mais celle-ci, notre musique ontique, ne s’accomplit-elle pas aussi, loin de toute prétention, « en attendant la réduction promise / Du nom qui est le nom derrière le nom / En qui s’effacera aussi le nom » (A, 89)?

LA TERRE AVEC L’OUBLI
D’abord, une petite série de remarques consacrées à ce grand poème, publié en 1994; ensuite, et pour terminer, une analyse compactée de la dernière séquence de la partie IX. 1: La Terre avec l’oubli, comme d’autres poèmes de Salah Stétié, constitue le poème se donnant comme poème du don, de la révélation, poème de ce qui s’offre comme… poème, comme mots (rose…, cela…). Ce qu’il y a dans le monde, qui est déjà le monde de l’esprit devient ce poème qui, par hypotypose, et circulairement, évoque la présence extraordinaire du manifeste devenant mots (plis et replis de la rivière, un cheval perdu, les collines, la lune, etc.) et dialectisé par la perception-imagination à la fois double et unifiée du banal et de l’angélique le tout étant simultanément « stérilité » et création (cf. T, 8), « bouche d’herbe / Qui dit le très peu qu’elle dit » (T, 9) mais qui, comme l’air et l’eau, reste cette « enfant [magique] du songe » (T, 11). 2: Ce don, qui est à la fois don des choses et don de la parole, constitue le don ontique d’une mémoire qui, en quelque sorte, est le réservoir et l’avenir, l’incréé, de l’être flottant « au-dessus de la rivière de l’oubli »: celui-ci n’arrive jamais, effectivement, à freiner le mouvement de ce don infiniment resurgissant. 3: la femme, la fille, reste toujours ici métaphore de fertilité et de création: elle est lieu d’enfantement, d’abondance, d’illimitation, symbole d’une totalité paradoxale mais synthétisée, « toute douleur toute douceur en elle » (T, 14), « la femme étant n’étant que flèche et biche » (T, 16), site et symbole c’est-à-dire d’une onticité autonome, parfaitement suffisante. « Elle écarte les jambes », écrit Stétié, « et la nuit infinie l’éclaire avec le jour / Ensemble et le matin / Elle est la lampe du présent dans le futur / Et ce qu’elle est: biche de flèche et lampe » (T, 17). 4: soulignons le caractère étonnamment présent, intrinsèquement intégral, parfait, non contingent de tout phénomène, de toute existence dans l’ontologie stétiéenne et ceci malgré tout ce qui semble s’opposer à cette définitivité, à cette plénitude inaliénable: souffrance, angoisse, mort, précarité, atrocité, etc. et contentons-nous de citer ce passage somptueux de la première suite du poème:

Et toute bête immaculée sous l’arc
Est profonde, elle est absolue par l’esprit
Comme une étoile qui s’égare et se retrouve
Plus pure d’être et plus nue dans la neige
Pareille en soi à fille désirante
À la chute du jour
À la tombée de la rosée sur le monde (T, 13)
La neuvième suite de La Terre avec l’oubli (T, 51-4) se compose de quatre séquences où tout le mystère de l’être se déploie comme pour la première fois l’effarement que peut susciter l’être, l’impossibilité de rationaliser son « pourquoi », celui-ci se consumant dans le feu d’une antiréponse, l’étrangeté de nos sentiments d’abandon et d’oubli face à la conscience de cet absolu qui pénètre partout. Voici la dernière séquence:
Ses mains s’en vont sans lui vers la brûlure
Pour caresser la femme inachevée
Entre elle et lui il y a l’épée des larmes
Femme elle va selon sa solitude
Comme une étoile éblouie par les prairies
D’où le cheval a disparu et seulement
Il y a il y a une rosée qui tombe
Il n’y a rien: la terre avec l’oubli (T,54)
Voici le poème, d’abord, de l’ontologie d’un mouvement ontique loin de nos conceptions réductrices, et loin de tout contrôle physique. Et pourtant l’ontologie qu’esquisse le poème est celle d’un inachèvement qui est synonyme d’une continuité à venir, d’une caresse à réaliser là où les intentions paraissent futiles. La variabilité infinie des états ontiques ne cesse, d’ailleurs, de frapper, paradoxale, complémentaire; et ceci malgré l’unicité de chaque conscience, chaque entité ou être. L’ontologie, enfin, de la disparition, du néant, s’imbrique dans celle du résidu, du vestige ontique qui persiste, même si ce qui reste s’avère négativement défini: ce rien qu’il y a, qui est/qui n’est pas: Salah Stétié, en disant cette simultanéité, cette équivalence peut-être, et même cette séquence il y a > il n’y a rien > la terre avec l’oubli, ne nous permet-il pas de rester au cSur de cette lumineuse énigme de ce qui est mais quoi au juste?; de ce qu’il y a: mais où?; et comment se fait-il qu’un verbe être ou avoir, ici soit possible, qu’un verbe soit?

Colloque Salah Stétié. Beyrouth 18 et 19 avril 2013

colloque beyrouth avril 2013

18 & 19 avril 2013

Cet événement académique et culturel sera inauguré, le 17 avril 2013, par une cérémonie qui se tiendra dans le nouveau campus de l’Université Libanaise à Haddath.
Le Recteur de l’Université Libanaise, M. le Professeur Adnan Hajj Hussein et la Doyenne de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Mme le Professeur Wafa Berry, remettront les insignes de Docteur Honoris Causa à Salah Stétié en reconnaissance de la qualité de son œuvre de penseur et de poète et de son ouverture sur l’universel.

programme

 

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