Un siècle de poésie. Saïd Akl, qui vient de disparaître à 102 ans, a rempli substantiellement son contrat avec le temps.
Ce cadet presque immédiat de Gébrane Khalil Gébrane a aussi rempli son contrat avec les mots. Alors que Gébrane inventait en langue arabe son poème allégorique, tout en versets simples et sapientiaux, Akl, le lecteur des symbolistes français, dont Mallarmé et surtout Valéry, cherchait, dans une forme d’alchimie imposée aux plus purs vocables de l’arabe, à annexer à la musique raffinée de son poème la chambre d’échos et de significations secondes. Son recueil Rindala fit date dans l’Histoire du jaillissement créateur du XXème siècle au Proche-Orient. Plus tard, devant les nombreuses trahisons et coups tordus dont fut victime le Liban de la part de ses « frères arabes » et autres « nations soeurs », Saïd Akl se détourna de la langue classique magistralement utilisée par lui jusque-là pour pratiquer le dialectal libanais qu’il fit vibrer à nous plus-émouvoir, à nous faire sourire, rire, et parfois à nous crever le coeur. Fayrouz, la grande Fayrouz, le chanta durant les années amères, et elle nous fit pleurer. Saïd (adieu, l’ancêtre!) écrivit le vers le plus compact de la prosodie moderne arabe : « Toi plus belle que ta beauté ? Non ! »