Extrait du livre Sur le cœur d’Isrâfil, éditions Fata Morgana, 2013

UN SCRIBE ONTOLOGIQUE

 J’ai une dette envers Mario Luzi, une double dette. Une première dette, de lecteur, la plus importante qui soit : je lui dois des moments d’émotion pure, de grâce naturelle et surnaturelle, d’emportement de nature musicale qui fait s’évanouir l’homme de chair et de sang que chacun est dans la matière seconde du monde dont on peut penser qu’elle est d’essence absolument spirituelle (c’est le cas de Mario Luzi), dont d’autres pensent qu’elle est le lieu d’un passage, d’un partage entre visible et invisible, le « leurre du seuil » comme aurait dit Yves Bonnefoy, et je crois bien être moi-même de cette dernière tribu-là : sur ce point, je reviendrai par la suite pour éclairer la singularité profonde de Luzi dans le paysage, que je crois sublime, de la grande poésie contemporaine où le poète italien occupe une place privilégiée, éminente, irremplaçable : les hommes d’inspiration, hélas bien rares, ne peuvent que partager mon point de vue. Ma seconde dette à l’égard de Mario Luzi est bien plus modeste mais, à mes yeux du moins, importante : j’ai eu le privilège d’être lu par lui et compris. En témoignent les deux ou trois fortes pages qu’il a consacrées à mon œuvre et où, me plaçant dans le rayonnement noir de la poésie méditerranéenne, je veux dire de la lumière qui nous rejoint paradoxalement du centre intérieur de cette mer, il énonce comme un fait d’évidence une parole que vient – dit-il en substance – éclairer un absolu de beauté. C’est sans aucun doute trop dire. Gratitude pourtant à Mario Luzi, ce fils de notre lumière partagée.

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