in L’Express novembre 2005

Les poètes, écrit Salah Stétié, «ont un art de se conjoindre au monde par les racines». Ou par D’autres astres, plus loin, épars, répond Philippe Jaccottet

Quand un auteur compose une anthologie de poésie, il rassemble en écoutant son goût quelques flammes qui lui sont nécessaires pour les faire vivre sous un même toit. Georges Pompidou inventa en son temps une anthologie de professeur, à la fois confiante et rassurante, où le lecteur retrouve ce qu’il connaît et qu’il aime. Son principe répondait à l’inverse du souci de Gide travaillant à la sienne. L’auteur de Paludes préférait les pépites cachées. De Genève nous vient aujourd’hui le précieux bréviaire d’un poète. D’autres astres, plus loin, épars rassemble des poètes européens du XXe siècle, choisis par Philippe Jaccottet. Cette anthologie traduit sa vision du ciel, «cette douce habitude de la nuit», où de «hauts astres» rayonnent.

Le livre de Jaccottet s’ouvre sur Constantin Cavafy et se referme avec Joseph Brodsky. Nous sommes au pays des vies intérieures et des exilés dans leur pays et dans leur temps. «Je m’en suis allé un soir», écrivait Ungaretti. Voici Anna Akhmatova, la «muse acérée» de la poésie russe, et Marina Tsvetaïeva, la femme salamandre, oiseau phénix qui aimait les anges, mais aussi ces «Autrichiens» nommés Trakl, Celan ou Christine Lavant. Beaucoup d’Italiens aussi (Bertolucci, Montale, Caproni). Tous ont traversé la vie en laissant derrière eux des guirlandes de mots tendues entre leur propre présence et l’infini du monde. Leurs lumières ont été les points fixes du chemin lyrique de Jaccottet; ils sont maintenant son offrande à notre ciel d’hiver.

Les poètes, écrit Salah Stétié, «ont un art de se conjoindre au monde par les racines». C’est en voyant qu’il est entré dans le mystère d’une ville qui est plus qu’une ville, le miroir d’un peuple et d’un empire. Salah Stétié a posé ses yeux dans les pas de Claudel et déchiffré les signes d’une ville où les dieux sont partout. Son livre rompt la conspiration du silence qui entourait Kyôto. Chaque ville porte en elle les rêves et les crimes des générations qui l’ont bâtie et habitée. Stétié nous dit ce qui est à la fois signe et monde, les toits retroussés, les triangles des frontons, les temples dispersés, les maisons de thé, les jardins, ce rapport de chair entre le dehors et le dedans, l’organisation minutieuse de la ville et sa dispersion dans l’espace. «A Kyôto comme à Venise, écrit-il, la vérité et la beauté, pour faites qu’elles soient de grandes masses fluides, d’air, de ciel et d’eau, sont déployées, soutenues et livrées à l’investigateur passionné jusqu’en leur moindre détail». Son Kyôto, enrichi de magnifiques photos d’Alexandre Orloff, traduit l’émerveillement et la lucidité du poète devant une ville habitée de puissances invisibles.