Albert Woda est un peintre comme on n’en fait plus : attaché au sujet, épris de la nature, savant dans l’art de peindre. Rien de ces improvisateurs qui font l’actualité des médias et pour qui une idée et quelques graffiti, ou encore un objet inventé de toutes pièces et dont l’évidence est liée à la subjectivité de son créateur, ou encore une surface plane chargée d’abstraction(s), suffisent à exprimer le fond des choses et la plénitude de l’expérience. Woda, lui, est bien plus modeste et sans doute est-il aussi plus orgueilleux : il veut saisir par tous les moyens de l’émotion, de la méditation, de la contemplation — prenant ainsi le relais des anciens peintres dont il renouvelle l’ambition — le secret des choses et des êtres qui l’entourent et qui, repliés sur le mystère de leur permanence, inscrite pourtant dans l’éphémère du temps et de l’espace, n’attendent que d’être aimés, interrogés attentivement, pour livrer simultanément leur part de nuit et leur part de soleil.
Albert se fait ainsi dans ses Pyrénées et ailleurs le confident discret des arbres, des forêts, des grands paysages nus, des solitudes humaines qui les traversent, souvent accablées. Il reprend de la sorte, sous les grands ciels d’orage et leurs nuages tourmentés et fluides, la leçon des merveilleux Hollandais du XVIIe siècle, celle en particulier de Ruysdael et d’Hobbema que j’aime tant. Rien de servile dans son attachement à la dictée de ces maîtres, mais un compagnonnage, un partage. Les signes de nos civilisations se métamorphosent, évoluent, disparaissent, sont remplacés par d’autres, souvent plus agressifs dans leur modernité toute relative : le cœur de l’homme ne change pas ni son regard sur les arbres, les prés, les saisons qui, eux aussi, difficilement mais calmement, sereinement, se maintiennent. Non pas contre vents et marées, mais avec la complicité de ceux-ci. Il faut, oui, il faut que tout cela qu’on aime et qui est menacé — menacé par l’annexion et la colonisation du paysage du fait de l’urbanisation conquérante, menacé par l’annexion et la colonisation de l’homme par le travail abrutissant, le règne de l’économie, le plein pouvoir de l’informatique, la foire aux vanités qui nous exile, nous écartant de l’essentiel, il faut, se dit Woda que tout cela soit sauvé.
L’essentiel pour le peintre, fils en cela de l’immense Cézanne, est — une fois l’émotion accumulée dans son âme comme une nappe d’eau* — de nettoyer ses pinceaux et ses godets, de nettoyer ses yeux aussi pour en faire des miroirs de clarté, de s’installer face à l’arbre, à la personne à portraiturer, au paysage déployé ; et plus tard, si besoin est, il reviendra à tous ces motifs par la médiation des photographies sincères qu’il en aura prudemment faites. L’émotion, la nappe d’eau, commence à couler goutte à goutte, à la façon d’une source qui se prépare à sortir au jour, à jaillir en couleur, sobrement, silencieusement.
Car il est besoin de silence, de beaucoup de silence pour peindre à la Woda. Ces précautions prises, les arbres, les paysages peuvent venir habiter la toile, cette vie seconde.