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Delphine Darmency « L’Extravagance d’une riche mémoire »

Salah Stétié, l’extravagance d’une riche mémoire 28/11/14

par Delphine Darmency in L’Hebdo Magazine, 28/11/14

Du haut de ses 86 ans, l’homme de lettres, séducteur de la première heure, n’a perdu ni son charme ni sa verve. Au Salon du livre francophone de Beyrouth, il est venu présenter son dernier ouvrage, ses mémoires, baptisées Extravagance. L’histoire d’un poète, diplomate, amoureux des mots et de la peinture qui livre la traversée d’une vie et d’un siècle.

mag«La mémoire est une illusion. Plus que ne l’est la vie? Peut-être bien», écrit Salah Stétié. Assis devant le stand de la librairie Antoine au Salon du livre francophone, le poète se prête à un entretien improvisé pendant la signature de ses mémoires. Des mémoires dont il n’est pas l’initiateur. «C’est Jean-Luc Barré, éditeur chez Robert Laffont, qui m’a proposé de les écrire. Il aimait, paraît-il, ma façon de saisir le sens caché des événements et trouvait que je traitais avec beaucoup de subtilité le portrait des hommes», explique le poète. Il s’agissait de m’engager pour une sorte d’esclavage d’écrivain. On a peur de ce que l’on va trouver au fond de soi, poursuit-il. Les souvenirs sont remontés à la surface un peu comme si avec une énorme fourchette, j’avais gratté le fond de ma mer intérieure. Ce que je ramenais était souvent lié à des choses négatives dans mon expérience du monde. Et pour tout vous dire, cela n’a pas été une partie de plaisir, mais je me suis accroché». L’exercice lui aura pris quatre ans, quatre ans pour retracer ses vies multiples, à la fois journaliste, créateur, diplomate et écrivain, comme il se définit lui-même. «Il s’agit d’un livre d’histoire, d’une reconstruction plus ou moins logique, plus ou moins abstraite, souvent illogique d’un moment vécu qui est important car complexe, décrit Salah Stétié. L’écrivain des profondeurs n’est pas un logicien, mais un psychanalyste, reprend-il. Je devenais historien de ma mémoire, dans une sorte de dialogue avec moi-même». Un retour sur toute une vie sans forcément la comprendre pour autant. «La vie est incompréhensible à 99%, souligne-t-il au cours d’une rencontre avec des étudiants organisée dans le cadre du salon. Le vent passe et il emporte le 1% de sens. L’incompréhension c’est aussi l’extravagance. Et ce n’est pas là de la philosophie, c’est de la poésie», affirme-t-il l’index levé.

Bercé par les mots
Ses mémoires débutent, comme elles se doivent, par un retour à l’enfance aux côtés d’un père qui écrivait de la poésie classique arabe. «J’ai passé mes premières années, bercé par des cadences verbales incompréhensibles, mais étrangement séduisantes pour le petit garçon que j’étais et qui s’était mis en tête, en alignant des mots sans suite, souvent inventés, de faire son poème à lui. Voilà comment prennent naissance les vocations», écrit-il. Alors que son père, Mahmoud Stétié, avait appris le turc et l’arabe pour faire carrière en tant que fonctionnaire de l’Empire ottoman, il voit ses projets anéantis lors de l’instauration du mandat français et va pousser son fils à maîtriser la langue du nouvel occupant, celle de Molière. C’est ainsi qu’en lisant Alexandre Dumas, Stendhal, Balzac, Nerval ou encore Théophile Gautier et tant d’autres, le jeune Salah va s’amouracher de la littérature française pour ne jamais la tromper. «Ah, chers, très chers amis de mon enfance, je vous dois tout, le rêve et le réel, les émotions et les indignations, les larmes et les joies, les ravissements et les anxiétés, la fascination des paysages et les questionnements devant la mort. La poésie quoi: l’amour des mots, le sentiment de leur pouvoir», écrit-il encore. Le lecteur vagabonde de souvenirs en anecdotes, de l’entrée des forces victorieuses au Liban en 1942 et la découverte du chewing-gum, aux étés de l’écrivain passés à Barouk jusqu’à son obsession d’enfant de découvrir le sexe féminin. «Cette enfance a été un rêve, mais le Liban ne pouvait suffire à alimenter mon ambition d’aller plus loin dans l’aventure humaine du XXe siècle, précise-t-il. De mes voyages, j’ai eu la possibilité de créer des liens avec tous les grands artistes, les grands peintres du siècle passé et de collaborer avec eux».
L’homme de lettres fut également conseiller culturel, ambassadeur du Liban ou encore secrétaire général du ministère des Affaires étrangères pendant les dernières années de la guerre, de quoi alimenter des mémoires denses et riches. «Ce livre se lit comme une traversée de la vie, lance-t-il. Méditez-le, discutez-le. Je l’ai écrit pour moi, pour diminuer ce fardeau que j’ai sur le cœur, mais je l’ai écrit également pour vous le faire partager et pour qu’il ôte un peu de votre propre fardeau. Ce livre restera comme un témoignage fait après la guerre du Liban», ajoute-t-il. «Mais reste-t-il quelque chose du Liban?», demande une femme venue faire signer son exemplaire. «Oui, il faut être patient, lui murmure-t-il à l’oreille. C’est un processus long; le Liban en vaut la peine».

Delphine Darmency

Daniel Rondeau « Poète et prophète »

 in L’Express, 14 décembre 2000.

Un Mahomet inattendu nous arrive en ce temps de l’avent et du ramadan.
Non pas à dos de chamelle, ni sur un fringant coursier, mais livré à domicile, en 360 pages, par un poète ayant pris l’habit du biographe, et qui s’amuse en passant de nous rapporter le peu d’amabilité du Coran pour les poètes : «Ils sont suivis par ceux qui s’égarent.» Ou encore : «Ils divaguent dans chaque vallée.» Un portrait est venu d’une ancienne place forte d’Afghanistan, autrefois occupée par Alexandre et pilonné il y a peu par les taliban, Herat, orne la couverture du livre.
Salah Stétié se tient à l’entrée de son livre comme à la porte de sa maison, quand Beyrouth était encore Beyrouth. Il murmure un vers de Claudel en guise de bienvenue : «Ô Dieu qui est en moi plus moi-même que moi», cite le nom de Massignon, qui exprime à lui seul, disait Aragon, un grand désir de réconciliation entre le juif, le mahométan et le chrétien, «comme une image de l’humanité future».
L’auteur se présente d’un mot – «humaniste» – et confesse s’être lancé dans cette aventure sur les pas de Lamartine, qui écrivit Une vie de Mahomet dans son Histoire de la Turquie, pour saisir à son profit «une possible image […] bien amarrée (en lui et en dehors de lui) comme un aimant à ses épingles de fer».
Voici donc l’histoire d’un homme, Mohamed (570-632), rien qu’un homme, berger puis caravanier de son état, aimant «les femmes, les parfums et la prière». C’est la nuit (en Orient, la nuit est toujours la saison de la parole), sous les astres brûlant froid de l’Arabie, dans le désert qui enserre La Mecque, qu’une voix lui dit : «Lis !» On pense au «Tolle ! Lege !» de saint Augustin, à cette différence essentielle que Mohamed est illettré (en état d’enfance propre à recevoir l’illumination, disent les exégètes français). La voix appartient à Dieu le Très Généreux et le livre que que l’inculte est appelé à déchiffrer est celui qu’il reçoit sous la dictée divine. La révélation dure pendant vingt-deux ans. Le Coran (récitation, lecture et prédication) contient l’ensemble des messages transmis d’en haut par l’ange Gabriel, «en langue claire arabe», ainsi élevée au rang de langue sacrée. Mohamed est invité à les communiquer à ses semblables.
Avec lui, les Arabes ont enfin trouvé leur prophète, «un prophète ethnique, écrivait Michel Hayek, originaire des Nations qui n’ont pas reçu d’écriture». Mohamed se place dans la lignée d’Abraham. Il continue Moïse et Jésus. Chef d’un petit groupe de fidèles, devenu chef d’état, briseur d’idoles, législateur, guerrier, époux de quelques femmes, dont Khadija et Aïcha, le premier musulman de l’Histoire fonde la troisième religion monothéiste, qui compte aujourd’hui un milliard de fidèles, soit le sixième de l’humanité . Mohamed, «illettré majeur», est sorti du désert au bon moment, quand les patriarches de l’Orient chrétien se déchiraient et que les hommes pieux d’Arabie commençaient à se lasser d’adorer des pierres. La terre entière s’est ouverte «au déploiement de sa signature».
L’Orient du pétrole et des fanatismes a remplacé celui des fins sublimes. L’islam est devenu une «citadelle assiégée». «Assiégée par les autres, mais surtout par lui-même», écrit Stétié. A Alger, au Caire, à Kaboul, il est confisqué par des prêcheurs de guerre et des lanceurs de poignard. Et tout autour de Jérusalem, la ville trois fois sainte, à Gaza et dans les territoires occupés, l’Histoire a rompu le pain de la haine.
C’est sur ce fond d’incertitude tragique («Un Orient sans sagesse, un Orient sans force, un monde sans bonheur», disait déjà Morand) que Salah Stétié a voulu inscrire son Mahomet, «prophète ravagé par le dire de Dieu et ployé sous sa dictée». Un poète écrit sa fidélité à la foi de son enfance, à la lampe de ses parents, qui brûle sans que le feu la touche. Il «refuse de quitter le navire», mais embarque pour des navigations spirituelles ses amis Vigny, Bataille, Rimbaud et Maître Eckart. Il n’oublie pas non plus la Schéhérazade des Mille et Une Nuits.
Son dernier mot ? Lumière.

Autour de Salah Stétié

Université de Paris-Sorbonne, salle Louis Liard , Paris V

Jeudi 13 janvier 2000

Sous l’égide du Collège de Littérature Comparée
(Universités de Paris-Sorbonne, de Bâle et de Bari)

et à l’occasion de la sortie du livre de Giovanni Dotoli, Salah Stétié – Le Poète, la Poésie, (préface de Mario Luzi), aux éditions KLINCKSIECK

se sont réunis, sous la présidence de Robert Kopp (professeur à l’Université de Bâle) :
Giovanni Dotoli, professeur à l’Université de Bari
Un livre sur Salah Stétié
Gabriel de Broglie, de l’Institut
Salah Stétié et la langue française
Nuno Judice, poète
Les chemins d’Hermès
Alain Rey, linguiste et écrivain
Le poète à la croisée
Pierre Brunel, professeur à la Sorbonne,
membre de l’Institut Universitaire de France
Le poète et son interprète
Salah Stétié
Post-scriptum

Lecture de poèmes par Marie-Christine Hervy

Colloque Salah Stétié à la Sorbonne janvier 2000

« Autour de Salah Stétié »

Le Jeudi 13 janvier 2000 à l’Université de Paris-Sorbonne, salle Louis Liard , Paris V

Sous l’égide du Collège de Littérature Comparée
(Universités de Paris-Sorbonne, de Bâle et de Bari)

sorbonne

 et à l’occasion de la sortie du livre de Giovanni Dotoli, Salah Stétié – Le Poète, la Poésie, (préface de Mario Luzi), aux éditions KLINCKSIECK

dotoli

se sont réunis, sous la présidence de Robert Kopp (professeur à l’Université de Bâle) :

Giovanni Dotoli, professeur à l’Université de Bari
Un livre sur Salah Stétié
Gabriel de Broglie
, de l’Institut
Salah Stétié et la langue française
Nuno Judice, poète
Les chemins d’Hermès
Alain Rey, linguiste et écrivain
Le poète à la croisée
Pierre Brunel, professeur à la Sorbonne,
membre de l’Institut Universitaire de France
Le poète et son interprète
Salah Stétié
Post-scriptum

Lecture de poèmes par Marie-Christine Hervy

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