Né au Liban, au carrefour des civilisations arabe et européenne. Salah Stétié a, plus qu’un autre éprouve le choc de l’histoire, vécu et souffert le désir d’unité.
Cette confrontation, cependant, ne l’a pas conduit à choisir un monde contre un autre, mais bien au contraire à tenter de les concilier en forgeant un langage qui leur soit commun.
Dans ce désir de voir dans le bassin méditerranéen un espace non de guerre mais de rencontre, il s’en explique dans son essai Les Porteurs de feu (1972), à la fois prélude à sa poésie et étude appronfondie des racines spirituelles du monde arabe ainsi que de son possible avenir.
Il y parle notamment de sa conception du poème: « cessant d’être description, nomenclature, inventaire de surface, le poème sera un noeud de forces consumées dans l’acte même qui les noue, et devenues matières invisible, champ magnétique ». Cet espace de consumation, véritable creuset où toute la disparité contradictoire du monde se trouverait soudain concentrée en un alliage d’une exceptionnelle densité, porte à son point d’unité le plus haut.

Salah Stétié s’est attaché à le réaliser dans une suite de recueils : L’Eau froide gardée (1972), Fragments : Poème (1973), Inversion de l’arbre et du silence (1980), L’Etre poupée suivi de Colombe aquiline (1983).

On trouvera là les plus sûrs acquis de la poésie occidentale, sa faculté de rupture et d’invention formelle comme métamorphosée par l’amour si arabe de la parole qui, en faisant de chaque poème le couplet d’un chant voué à l’interminable, fait du livre une psalmodie et lui donne une couleur et une accentuation vocale inédites dans notre langue.
Souvent inspiré par la mystique de l’amour qui lie indissolublement douleur et désir, blessure et jouissance, le poème se fera donc ici invocation ci plainte, mêlera la suavité des images à l’âpreté des syncopes.
D’où une grande subtilité du rythme, attentif à scander au mieux la répétition et la variation des images choisies (l’épée, l’oiseau, la lampe), souvent empruntées à une tradition ici réanimée.

La poésie de Salah Stétié se veut à la fois sensuelle par le plaisir qu’elle éprouve à faire sonner les vocables, à les apparier, à le savourer dans toute la plénitude de leur sens, et dans le même temps cérémonielle, sachant se couler pas à pas, poème après poème, dans l’ordonnancement de la parole qui la guide et lui donne souffle.
En cela le mouvement de ses livres est proche du dessin infini de l’arabesque, chaque élément n’existant jamais séparément mais s’intégrant dans le grand rythme qui seul lui donne sa vente.
Comme l’arabesque encore, cette poésie est de nature alchimique: elle se refuse à reproduire le monde ou à le traduire simplement.
Elle cherche d’abord à le purifier, à ne conserver de lui que son essence: cet entrelacs d’images soigneusement choisies qui sont, pour Salah Stétié, autant de points de médiation ésotériques entre l’être et l’univers.