Comment m’est venue la poésie ?

Par osmose, par hypnose.
Mon père et ma mère étaient poètes. Mon père écrivait, ma mère écoutait, approuvait, refusait. L’enfant que j’étais était stupéfait, fasciné.
De quoi parlaient-ils, ces deux-là ?
Pourquoi ces mots, ce langage incompréhensible, cette sorte de cadence qui semblait chantonner, peut-être même chanter distraitement avec – nous sommes en langue arabe et dans un registre classique, voire académique – des retours de sonorités dont j’apprendrai plus tard, beaucoup plus tard, que c’étaient des rimes. L’enfant, qui adorait sa mère, va vouloir imiter son père (première manifestation visible et identifiable du complexe d’Œdipe) : avec le vocabulaire français dont il dispose, peut-être une centaine de mots en tout, il va rimer, lui aussi, il va à tout le moins assonancer.
Pour dire quoi ?
Qu’il est heureux, que maman est la plus jolie, que l’enfant l’aime à la folie, merci mon Dieu. L’enfant de sept ans est si fier de ses vers qu’il les montre à sa maîtresse d’école qui, elle-même, les montre à Madame la directrice : il ajoutera ce jour-là à son vocabulaire un mot difficile à retenir pour un amoureux des vers, de ce qu’il appellera un jour la poésie : le mot mirliton. J’avais fait, comme Monsieur Jourdain de la prose, des vers de mirliton, dixit Madame la directrice.
Fallait-il en être fier ?
Je mettrai des années à apprendre que non. A treize ans, j’ai abordé Lamartine, Hugo et Vigny. Un an plus tard, c’était les premiers poèmes de Verlaine et de Rimbaud :
« Je m’en allais les poings dans mes poches crevées / Mon paletot aussi devenait idéal… »
J’étais sauvé.