FERVEUR D’ALECHINSKY

La rencontre avec Pierre Alechinsky, qui eut lieu il y a un quart de siècle, fut l’une des plus déterminantes de ma vie. À l’époque de bien de faux-semblants et de ruses stériles chez bien d’artistes, j’avais enfin en face de moi un peintre-peintre. Il avait des couleurs sur les mains et dans les yeux. Il avait aussi des lignes fluides, continuant Matisse, bien que hachées parfois, des lignes sachant capter la musique des formes. J’aimais ses cadrages, ses encadrements, ses bordures agrémentées de signes et qui semblaient, au point de départ, vouloir isoler le monde peint rêvé par le créateur du monde palpitant, bruyant et désordonné qui sert de champ clos à nos vies, elles aussi tout désordre. Pierre Alechinsky ne voulait dans sa peinture inventive à foison ne suivre que son rêve, cette vision d’un univers premier, magnifiquement archaïque et comme venu à nous du fond des temps, des fonds de l’homme pour nous dire que nous étions l’humanité, c’est-à-dire une manière (nom de vermine, à la manière dont Henri Michaux nous voit) mais de grouillement d’insectes magiques ou, mieux, d’épanouissement délicatement formel, repris, comme temps musicien, par le pinceau d’un dieu attentif et violent. C’est tout cela que j’ai spontanément vu et aimé chez Pierre, dans les éclaboussures de sa lumière et de sa nuit, toutes deux vibrantes de couleur, et c’est cet enthousiasme latent dans l’œuvre qui a fondé de moi, homme de mots, à lui, homme de taches et de lignes, ainsi que de lui à moi, l’enthousiasme d’une amitié fervente et jamais alentie ou ralentie.