Je veux profiter de cette journée ensoleillée pour parler d’un ami cher, Salah Stétié. Nul doute qu’il soit un des plus grands poètes vivants au monde. A plus de 90 ans, il regarde notre temps dans les deux directions : celle d’où il vient – ce « Liban de rêve » pour parler comme Rimbaud, un pays qui vit le passage de Gérard de Nerval -, celle où nous allons dans la compagnie de ses livres, si nous prenons le temps de les lire pour mieux nous remémorer l’essentiel né en Mésopotamie voilà des millénaires, et dont Salah Stétié, en ambassadeur émérite de la modernité, a vivifié le rythme. La première fois que je l’ai lu, je devais avoir vingt ans – je m’ennuyais à mourir en khâgne où j’étudiais de mauvais maîtres. Je découvrais d’emblée un classique par son usage de la langue, par la majesté de sa pensée, par ce ton d’airain qui est la marque du style. J’ignorais qu’il avait été le disciple de Gabriel Bounoure, le propre disciple d’André Suarès. Mais je voyais qu’il allait dans des directions qui ne trompent pas, à la suite de Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé. Puis je l’ai connu, des années après, et nous sommes devenus amis au cours de nombreux fous rires. Salah Stétié, en chair et en os, m’a toujours fait penser à quelque buste de César oriental romanisé. L’auteur a certes une autorité impériale, mais il ressemble aussi bien au chat du Cheshire décrit par Lewis Carroll. Si vous ne le connaissez pas encore, je vous conseille ce grand livre que j’ai édité dans la collection « Bouquins ». Tout y est de la Méditerranée – jusque dans les parfums les plus délicats -, comme peint sous le ciel des Romantiques.