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Soirée de présentation du Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, éditions Robert-Laffont, le mercredi 2 octobre 2013 au musée de l’histoire de l’immigration

dico bouquin

Avec la participation, dans l’ordre d’intervention,  de Jacques Toubon, Jean-Luc Barré, Pascal Ory, Marie-Claude Blanc-Chaléard, Mercedes Erra, Tobie Nathan, Salah Stétié, Marek Halter et Manuel Valls (ministre de l’Intérieur)

 

Ladislas Kijno

Allocution prononcée le 6 octobre 2013 à la Maison Elsa Triolet/ Aragon à l’occasion d’un Hommage rendu au peintre Kijno dont plusieurs toiles sont exposées en permanence dans la maison-musée.

Les quatre cœurs de Lad Kijno, grand peintre

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LAD, HOMME AU GRAND CŒUR, avait quatre cœurs. Je veux parler d’abord des deux premiers. L’un était pour le ciel, et l’autre pour la terre, ses deux patries. Entre les deux, libre de tout, l’Ange Couleur, celui qui peint avec sa propre plume. À chaque tableau qu’il imagine sur soixante-dix ans de création jamais ralentie, jamais interrompue, toujours renouvelée par son respir, l’Ange Couleur allait, venait, tournant autour du peintre pour l’aider à configurer le monde. Le monde de Lad dans le monde de l’ange, comme par la radiographie permettant de voir le fœtus encore endormi mais bientôt réveillé dans le sein de sa mère, le monde de l’Ange dans le cœur et l’intelligence de Lad, créateur et créature s’épousant et s’épuisant dans le même combat sous la même enveloppe. Car Lad croyait à l’Intelligence, c’est-à-dire aux liens étroits entre les choses et l’Esprit. Car le visionnaire était aussi un philosophe qui avait lu Aristote et Thomas d’Aquin et qui, dans sa jeunesse, avait d’idées et d’intuitions échangé des lettres avec l’immense Paul Claudel. Comme Paul, et comme Thomas, il croyait à l’Animus et à l’Anima, l’Anima la substance originale et féminine de l’Âme que l’Animus, l’Esprit, le Modeleur inspiré, formulateur et normatif, venait achever selon sa propre règle, participant aussi avec les propres moyens de l’homme, si pauvres fussent-ils, à la création universelle, celle qui derrière l’homme retrouve l’ouvrier, ce contributeur à la vision du Grand Tout.

Lad détache une plume de l’aile du Compagnon obligé, aile qui l’éventait du vent dont il avait besoin pour ne pas étouffer, pour ne pas se sentir en prison. Et cette plume était entre ses doigts une clé d’or pour ouvrir la chambre où il se trouvait, pour ouvrir la fenêtre et faire exploser les limites de l’horizon. Son imagination était un arbre substantiel, reliant, je l’ai dit, le ciel et la terre, chaque arbre se façonnant, tout et détail, selon la poussée de sa sève singulière, racines, tronc, écorce, branches, feuillages et dentelure de chacune des feuilles, et pigmentation de la feuille et de la fleur et, le moment venu, du fruit selon la religion du soleil et de la lune, selon la pluie et selon la neige et selon les quatre saisons de l’année reproduisant symboliquement les Quatre Évangiles.

Il n’est pas étrange que Lad, ce fils de mineur, cet approfondisseur par nécessité, ait choisi très vite et comme d’instinct d’attaquer la réalité prétendue sous tous ses angles, avec pics et pinceaux, pour lui faire rendre gorge et la contraindre, à la force du poignet et rien qu’avec ses dix doigts à restituer au jour, qui est couleur et lumière, la chose noire que cette réalité économise, depuis des millions d’années, couche après couche, dans sa profondeur muette, la houille chaleureuse, le noir capable du plus intense rouge, venant absorber les nuances après les avoir révélées, pour établir sous un projecteur soudain éblouissant dans l’espace, un geste délicat et décisif à la fois, l’amphithéâtre tragique où s’affrontent, à travers toutes les expressions dont il est capable, l’homme et son destin. « Il y a en moi quelque chose de noir à contenter », avait prophétisé Eugène Delacroix, phare parmi les phares. Lad Kijno avait rencontré et retenu la haute leçon qu’il avait adaptée, selon son style fourmillant d’inventivité, à notre modernité intransigeante dont il s’est, dès qu’il a commencé à peindre, imposé comme l’une des références incontournables. Lad, cet arbre puissamment poussé par sa propre dynamique interne et le terreau que son secret colonise, arbre inversé, est un terreau infiltré par tous les sucs où il puise, entrecroise et mélange avec autorité, avec subtilité, pour en former sa sève à lui, riche de tous les apports des temps (sa culture picturale et artistique et monumentale et svelte, comme l’était sa taille longtemps effilée comme la flèche d’une cathédrale, ces cathédrales médiévales qu’il aima d’amour aussi physique que spirituel dont s’illuminaient encore plus les vitraux quand il les regardait et qu’ils finit par illuminer lui-même du regard de ses yeux en dédiant à l’une de ces grandes structures millénaires sa magnifique rosace vitrée traversée par la seule lumière intérieure à la lumière qu’on appelle, faute de mieux et par incompétence du vocabulaire humain, la lumièrede l’esprit). Ce Polonais, né à Varsovie, croyait-il à l’Esprit ? Il y croyait : c’était, je crois, pour lui, dans le repli de sa conscience la plus intime, le seul nom de Dieu auquel il pouvait croire au-delà du religieux, au-delà de l’institutionnel, quel qu’il fût. C’est par là, et c’est pour cela que battit le premier des deux cœurs de Lad : celui qui regarde vers le Ciel. C’est ce cœur-là, allié à l’instinct créateur qui inventa tous les rêves, toutes les formes, toutes les lignes, toutes les images, tous les matins et tous les crépuscules, cela qui rend identifiable chacune des œuvres de Lad, quelle que fût la technique employée, quelle que fût la période envisagée. Ce cœur de Lad selon ce qu’en pourrait dire Mallarmé, est celui qui chante “l’hymne des cœurs spirituels” :

Car j’installe par la science,
L’hymne des cœurs spirituels
En l’œuvre de ma patience,
Atlas, herbiers et rituels

Prose pour Des Esseintes.

Cet inventeur, ce réinventeur du regard sur la couleur et sur la forme et qui traverse avec une désinvolture superbe et sérieuse toutes les métamorphoses de l’absolu créateur au XXe siècle, absolu qu’il sut illustrer à sa façon, croyait-il aux grand combats de la lumière et de la nuit, et sur les chemins de la peinture et de l’art, mieux que  batailles d’Uccello confrontées à celles de Manès-Zarathoustra, sage pour qui tout est mis en balance : le Jour et la Nuit, le Bien et le Mal, le Clair et l’Obscur ?

Mallarmé place à l’origine de « l’hymne des cœurs spirituels » qui est la formulation poétique en son aboutissement, une science que je crois toute d’intuition, une patience qui est cet art de faire par quoi –  à tort selon moi – Valéry définit le tout de la création poétique qui est – selon moi toujours – un entêtement contre le mauvais ordre des choses, une rébellion, un ajustement rectificatif. Bien plus spiritualiste est, chez Lad, la conception créatrice éclairée par ce soleil spirituel qui lui a toujours tenu compagnie et qui est de l’ordre de ce premier cœur que j’ai évoqué au début de cette prise de parole.

Qu’on permette au poète que je suis, que j’espère être, de donner voix à l’un de mes amis italiens, Mario Luzi, grand poète, mort il y a quelques années, après avoir frôlé le Prix Nobel de littérature. Trois citations extraites du même recueil intitulé : À l’image de l’homme, ici magnifiquement traduit par Jean-Yves Masson. Ces trois citations me paraissent correspondre étroitement aux vues de Lad Kijno sur le sens et la finalité de la création d’art mûrie au soleil de l’expérience spirituelle la plus sincère, convaincue et convaincante :

1ère citation :

Monde, je ne suis pas  limité à moi-même
Tu as voulu que nous soyons chacun
un projet de vie
dans le projet universel.

Je sais bien que nous devons toi et moi
réciproquement grandir ensemble –
c’est écrit sur l’ultime pierre
milliaire de son chemin
Et tout au-dedans de lui. Amen.

2ème citation :

Vent et lumière
L’éclat doré
des platanes s’installe dans le ciel
il n’a ni heure
ni saison,
ou c’est cette exaltation
qui le possède
et les brûle
c’est cette invincible alchimie
qui les exalte en clarté,
les unit et les purifie
à l’essence
lumineuse de la fin
et du commencement.

3ème citation:

Printemps omniprésent,
fleuve vert, herbe verte,
vert presque turquoise
de l’air sur le sommet des dernières collines
à l’horizon
rudoyé par l’orage,
par le soleil reverdi
et brûlant dans sa grâce blessée ;
où est-il – impossible de le situer,
il n’a son siège nulle part, mais l’âme
ne lui manque pas – il y a
un travail subtil et acharné
dans le monde qui devient ce qui est.
Et moi l’art, j’en suis
un peu l’obscure, un peu la lumineuse part.
Ô peine ô grâce.

Ô peine, ô grâce : l’art est, par la participation de l’artiste à la re-création, à l’accomplissement de la création du monde – pour Mario Luzi ce monde est un don de Dieu, don inachevé qu’il appartient à l’artiste, au poète d’achever, c’est aussi le point de vue du puissant correspondant mystique du jeune Lad, Paul Claudel, qui intitule un de ses poèmes les plus célèbres : “La Muse qui est la Grâce”, mais ce monde est-il pour Lad vraiment donné par Dieu ? On le pense. On n’en est pas sûr, malgré la pudeur de l’approche. Reste qu’il y a chez notre ami une avancée au départ plus romantique, plus symbolique au sens baudelairien du terme, des significations parallèles, jusqu’à un certain point inabouties et cependant convergentes des signes de ce monde, ce que le poète des Fleurs du Mal appela les “Correspondances”. Le monde est formé de couches comme géologiques et structurelles qui s’interpellent, s’interpénètrent et, dit Baudelaire, se « répondent dans une ténébreuse et profonde unité » : couleurs, parfums, sons, à l’horizon du grand tout, dans ce qu’il m’est arrivé de surnommer un jour “l’outre-sens” ou encore “l’outre-lumière du dit”. Lad écrit en 1957 ce texte révélateur : « Le monde est élastique, sphéroïde et constamment en expansion ; il y a plusieurs mondes, la matière est multiple, comme stratifiée. On part d’une machine et on arrive aux rythmes d’un figuier ou aux fonds marins : inversement, on part de la croupe d’un cheval, d’une courbe de violon, d’un sein ou d’un visage et on arrive finalement à une géométrique mécanique mentale. Des choses nous échappent nous glissent constamment entre les doigts, imperceptiblement, comme du sable ; impossible de rester dans l’objet : il y a des transmissions secrètes et contradictoires, des courants ascendants, des forces magnétiques, des marées motrices, un va-et-vient constant : tout cela bouge, tout cela craque, tout cela se tient et il faut en rendre compte sur cette petite surface à deux dimensions qu’est la toile. » C’est partant de là que Lad décrit, mais c’est une création qui n’a rien d’une description. Nikos Kazantzakis avait vu juste quand il note, peut-être faisant allusion de loin au premier travail de son ami Lad, cette observation visionnaire : « Ce n’est pas mon cœur qui bat et bondit dans son sang, c’est la terre entière. Se retournant en arrière, elle revit sa terrible ascension à travers le chaos. » Frank Elgar, un critique ami de Lad commente subtilement : « Il fallait pour l’artiste rendre le frémissement de la matière, le tragique des éléments, le pouvoir fascinateur du chaos et pourtant faire œuvre de création. Il y a parfaitement réussi. Il ne décrit pas, il évoque, suggère, transfigure, métamorphose les données naturelles. »

Voici longuement, car c’est là que tout commence, pour le premier cœur de Lad Kijno : le cœur spirituel. Mais très vite Lad découvre que l’esprit n’est pas tout, voire qu’il n’est rien s’il ne s’incarne pas dans le combat des hommes, si l’esprit n’est pas combat social, sens de la justice, participation à l’ordre de la société en vue de la réalisation de la paix, ici et maintenant, par les armes qui permettent de conquérir ces idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont la base de la conscience humaine et la morale sociale, avec ou sans Dieu. Désormais, son combat le plus profond, le plus significatif s’inscrit non pas en marge, mais en compagnonnage avec le Parti communiste en France certes, mais aussi dans le monde. Il prend parti pour les grandes causes lumineuses dont il sait que leur lumière est celle du chemin. Et du coup, sa peinture va cesser de baigner dans une rêverie existentielle pour épouser la forme simple, se rapprochant avec une grande simplicité, qui n’est pas simplification, des formes premières qui rappellent les premiers gestes des hommes sur les premières matières, et aussi ces premières matières elles-mêmes, les transformations que le travail des hommes, difficile au quotidien, leur fait subir, le mariage des matériaux et de la dignité de la création en général, la création comme rêve collectif et comme noblesse acquise. Son père, cet émigré, avait été mineur et, à la fois, professeur de violon. Dorénavant dans la vision amplifiée, engagée, lutteuse de Lad Kijno, le deuxième cœur de celui-ci prend sinon la place laissée par le premier (l’espace de ce cœur est si vaste qu’il est toujours là à battre éternellement) du moins par se transformer en fer de lance de sa sensibilité et de son imagination, en accompagnant par un grand songe simplifié dans sa thématique, ses formes et ses effets, le dialogue avec tous cœurs que son art cherche à rencontrer et qu’effectivement il rencontre. C’est le second cœur de Lad.

Kijno ne s’est pas exilé, loin de là, de sa recherche méditative fondamentale qui est toujours la quête de la vérité dans la justice, la paix et l’espace intérieur de l’homme – ce lointain intérieur dont parle Henri Michaux, un méditant et un autre grand poète, les routes et les sentiers de Lad étant tout le temps traversés de poètes, ces êtres au diapason desquels il résonne plus encore que des peintres, souvent plus formels, plus formalistes, plus évasifs et plus perdus dans leur songerie colorée.

Lad est toujours en quête du sens. À l’occasion d’un séjour au Japon, il le trouve, lui semble-t-il, dans la lumière du Bouddha et c’est son long nouveau cheminement dans le visage aux yeux fermés de celui, un homme comblé d’humanité jusqu’à atteindre les rivages d’un certain divin fait d’accueil, de compassion, de tolérance et de justesse d’âme, un long cheminement qui est pour Lad, pour qui l’aventure spirituelle ne se distingue plus en rien de la recherche plastique, une halte d’émerveillement dans son double développement unifié. Mais l’Histoire, que le Bouddha a espéré dépasser, l’Histoire occidentale notamment, ne ferme, elle, jamais ses yeux épouvantés au fond de la conscience du peintre, de plus en plus semblable à lui-même, de plus en plus visionnaire.  C’est là que s’ouvre dans sa carrière toujours active,  jamais apaisée, cette extraordinaire conjonction qui met face à face l’horreur goyesque de l’Histoire figurée symboliquement (retour, mais dramatique, à la case départ) par ces admirables cathédrales de la noirceur du temps que sont les Lithurgies brûlées, ces apocalypses qui disent leur nom et, d’autre part, autre terme de la conjonction, la découverte de la page, de la peau, des lignes de la matière, des lignes de la main et de leurs infiltrations réciproques par la caresse distordue et cependant harmonique et harmonieuse où l’univers chante sur le papier que l’harmonie suprême est peut-être dans la disharmonie risquée : haute leçon d’esthétique mêlant l’avant-garde la plus incisive à la tradition de l’hymne grecque sous sa forme la plus proche de la lumière obscure et diaphane des Mystères. C’est la période, véritablement unique dans le génie de la création picturale contemporaine, ces merveilleux papiers froissés de Kijno que j’ai beaucoup de plaisir à explorer tandis qu’il continuait à les inventer, surpris lui-même par le sourire de son œuvre, le sourire de la matière spiritualisée par une caresse. « D’une seule caresse / Je te fais briller de tout ton éclat », écrit Paul Éluard dans un distique du plus limpide amour. Cette période si violemment antithétique dans l’existence de Lad, ce chevalier épique de l’inventivité contemporaine, ce face-à-face dramatique entre les Lithurgies brûlées et les papiers si bienheureusement froissés correspond au troisième cœur mi-lumineux mi-ténébreux de Lad. J’aurais beaucoup à dire encore sur cette physique-métaphysique du grand peintre, notre ami qui vient de nous quitter, mais je m’arrête là car pour cela il nous faudrait des heures.

J’ai dit que Lad avait quatre cœurs en un seul, qui, en fait, a réussi le miracle de réunir à lui les trois autres dans l’unité suprême de l’amour. « Il n’y a pas deux amours », dit saint Augustin. Lad était fils de mineur, il remontait métaphoriquement comme son père de la nuit de la terre ; Malou, était une fille de l’air, elle avait vocation de voler. Une fois, comme dans les contes de fée, le fils de la terre regarda vers le ciel : il vit une déesse du ciel, une jeune hôtesse de l’air  dont l’avion a pris feu,  et qui tombait  vers la terre.  Comment ces deux-là ont-ils fait pour se rencontrer et vivre sur des dizaines et des dizaines d’années d’un éternel amour ? C’est le quatrième cœur de Lad et c’est le premier d’entre eux tous, c’est là aussi le premier et l’ultime cœur de Malou.

Colloque Salah Stétié. Beyrouth 18 et 19 avril 2013

colloque beyrouth avril 2013

18 & 19 avril 2013

Cet événement académique et culturel sera inauguré, le 17 avril 2013, par une cérémonie qui se tiendra dans le nouveau campus de l’Université Libanaise à Haddath.
Le Recteur de l’Université Libanaise, M. le Professeur Adnan Hajj Hussein et la Doyenne de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Mme le Professeur Wafa Berry, remettront les insignes de Docteur Honoris Causa à Salah Stétié en reconnaissance de la qualité de son œuvre de penseur et de poète et de son ouverture sur l’universel.

programme

 

La beauté est peut-être le sens de l’univers

« La beauté est peut-être le sens de l’univers »

Peu avant l’hommage que lui rend la Bibliothèque Nationale de France qui se terminera par un colloque le 4 avril, le poète Salah Stétié accorde un entretien exclusif avec le futur site http://www.LeNouveauCombat.fr . Dernière partie : « La beauté est peut-être le sens de l’univers ».


Salah Stétié – « La beauté est peut-être le sens… par lenouveaucombatfr

Gabriel Bounoure

Extrait du livre Sur le cœur d’Isrâfil, éditions Fata Morgana, 2013

SUR LE CŒUR D’ISRÂFIL

Toute ma vie se sera passée sous le signe de la foudre – « ce bel éclair qui durerait » – dont m’aura gratifié Gabriel Bounoure. La fin de l’âge venant, de l’importance de ce don je me rends compte aujourd’hui plus que jamais. Et c’est pour moi dans les plis du cœur, lumière d’un trésor : irremplaçable lumière, inouï trésor.. À l’heure où l’on ne sait encore rien mais où naît, dans la violence du désir, le besoin et l’impatience de tout posséder et de tout savoir, vers dix-sept/dix-huit ans, Bounoure est entré dans ma vie comme un ange, cet Archange Gabriel de la plus grande fable, et, l’œil voilé et le sourire de la compassion bouddhique aux lèvres, il m’a d’un doigt frémissant d’émotion contenue quoique intense, montré la route : elle allait (je ne le savais pas encore ou qu’à peine) vers le centre de tout qui a nom Poésie. Capitale de la douleur, capitale de la merveille et de la grâce. Grâce non religieuse, mais cependant divine : d’un seul coup, je comprenais brutalement que le divin habitait parmi nous, que les mots autant que les monts du Liban, qui coiffaient ma rencontre adolescente avec Bounoure d’un peu d’éternité de neige, que les mots et les monts nous étaient une demeure, que le sacre était notre quotidien. La brûlure de cette gifle ne m’a pas quitté depuis lors et, de temps en temps, il m’arrive de toucher distraitement ma joue : Bounoure est mort, je vais bientôt mourir, mais sa fièvre, la contagion de sa fièvre est toujours là et je sais que jusqu’en ma dernière minute j’aurai vécu, dans le sillage de Bounoure, audacieusement, modestement, selon le grand exemple qu’il m’a laissé, au seuil du feu. J’ajoute aussitôt que, pas plus que le prophétisme du réel, l’incendie du vrai – qui sont l’un et l’autre deux définitions possibles de la poésie – n’a rien de spectaculaire. La communication de la vérité poétique se fait le plus souvent à voix basse et c’est dans le creux de l’oreille, du côté de la trompe d’Eustache que je l’aurai reçue muettement.

Léopold Sedar Senghor

Extrait du livre Sur le cœur d’Isrâfil, éditions Fata Morgana, 2013

SENGHOR LE MAGNIFIQUE

Léopold Sédar Senghor nous a appris quelque chose d’essentiel. Nous, ce sont tous les hommes, toutes les nations du Tiers Monde. Et cette leçon, c’est au moment où nous en avions le plus urgent besoin qu’il nous l’a offerte : à l’heure où se levaient un peu partout sur la planète les drapeaux de nos indépendances flambant neuves. Nous étions fiers et pauvres. Il nous a appris que nous nous devions d’être fiers et fiers, au sein même de notre pauvreté, d’être riches. Riches de quoi ? Il nous a appris que l’indépendance n’était qu’un vain mot, et vide de sens, si elle ne devait pas coïncider avec l’identité, que l’indépendance, en un mot, c’était, après l’éclipse historique que l’on sait, le plein soleil de l’identité restaurée. Je parle à bon escient de soleil car seul un fils du soleil, homme de vérité, pouvait nous donner cette leçon de vérité. La vérité de l’homme a partie liée avec ses racines, avec la terre, cette parcelle précieuse de la planète Terre que nous nous obstinons à nommer patrie, la terre des pères faite du souvenir des ancêtres et de leur grande poussière immémoriale. Oui, dis-je encore, c’est cette terre-là la plus proche de notre cœur qui est notre vérité, avec sa géographie et son histoire, avec ses femmes et ses hommes, avec sa langue et ses dialectes, avec ses créations et ses coutumes, avec ses inventions et ses traditions, avec son unité et sa diversité, avec ses heurs et ses malheurs –, l’un dans l’autre, l’un par l’autre. S’étant ainsi magnifiquement enraciné dans tout l’amont, cette terre première et ses latences originelles, ce paradis nécessairement perdu qui nous est mémoire et qui, mémoire, est à reconquérir sans cesse, l’homme de vérité, cet homme qui a nom Senghor, peut se projeter aux avant-postes de lui-même et se déployer librement dans le temps à venir et dans l’espace étranger. Étranger ? Non – autre, simplement autre. Quand on est sûr d’avoir atteint le lieu d’identité, l’indépendance n’est plus un vain mot ni un vœu pieux, comme il arrive encore aujourd’hui, hélas, si souvent et la voici, l’indépendance, qui rime paradoxalement, contre toutes les évidences phonétiques, avec la liberté. Le paradoxe va même plus loin ; je m’explique. Dans la mesure, dis-je, où l’identité restaurée, reconquise, reconstituée fût-ce dans le combat, la peine, le deuil et les larmes, dans cette mesure même le lieu d’identité devient le lieu de l’autre puisque c’est à partir de soi, de l’affirmation de soi, de la confirmation de soi que se reconnaît l’altérité. Alors seulement l’autre cesse d’être une abstraction, une postulation rêvée, une naturalité équivoque pour prendre, face à celui qui est et qui se sait être, sa pleine stature d’étant. Et comme l’être est, pour paraphraser une formule célèbre, la chose du monde la mieux partagée, chacun se retrouve dans chacun, hommes et civilisations, comme dans un miroir en qui il ne sera « ni tout à fait le même ni tout à fait un autre » mais en qui cependant, dans la lumière inaltérée, il sera compris et aimé. J’ai parlé d’homme et j’ai parlé de civilisation : il ne saurait y avoir d’homme où la civilisation viendrait à faire défaut mais, nous le savons aujourd’hui mieux qu’à n’importe quelle autre époque de l’Histoire, il ne saurait non plus y avoir de civilisation là où ne serait pas impliqué l’homme, et le sens de l’homme. C’est reprendre en la modifiant et non sans la contredire partiellement la phrase si souvent reproduite de Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » À cette observation de l’auteur de Variétés, il n’est pas irréaliste de répondre que, tout compte fait, la mort des civilisations rend encore plus évidente, à travers la chaîne des destructions promises, une certaine idée de la permanence de l’homme et peut-être même de ce qui est en lui étincelle d’éternité.

[…]

Yves Bonnefoy

Extrait du livre Sur le cœur d’Isrâfil, éditions Fata Morgana 2013

BONNEFOY MAIN PURE, MAIN SOUCIEUSE

Nous avons été quelques-uns, au début des années cinquante, à recevoir la poésie d’Yves Bonnefoy en plein visage comme un gifle de vent. Certes, il y avait René Char et Michaux, Saint-John Perse et Pierre Jean Jouve – mais nous savions déjà que leur œuvre était, pour l’essentiel, derrière eux, et que leurs grands soleils s’apprêtaient magnifiquement à s’endormir. Les derniers jeux surréalistes ne nous semblaient plus directement accordés à cela que nous pourrions appeler, au sens le plus noble du mot, un chant. Ce chant, voix sourde montée de la profondeur, ce fut la voix d’Yves Bonnefoy.

Elle venait à nous comme un orage qu’aurait traversé, par-ci par-la, des limpidités. Il faut se souvenir que les années dont je parle traînaient encore derrière elles l’ombre d’une immense tragédie et que, assez énigmatiquement, tout ce qui n’embrayait pas d’une façon ou d’une autre sur cette tragédie – dont nous voulions cependant, et de tout notre élan vital, nous distraire – apparaissait de la nature d’une trahison. L’époque était sombre mais n’aspirait qu’à s’éclairer et, fiévreusement, qu’à se brûler à quelque nouveau rêve. Bonnefoy est arrivé et ce qu’il disait avec gravité – une gravité soudain plus déterminante que la pesanteur du tragique – avec des mots sombres et clairs, plus sombres d’être clairs et plus clairs d’être sombres, pareils en cela au ciel tumultueux dont j’ai parlé, ce qu’il disait, dis-je, c’était, gravement, le songe, le merveilleux songe du réel. Je n’emploie pas ici le mot « merveilleux » au sens d’ une exaltation quelconque du pâle donné, de tel « épanchement du songe dans la vie réelle » dont Nerval, par exemple, a été l’acteur fasciné et la victime. C’est bien plutôt d’une dialectique serrée entre les deux termes d’un équation vivante, eux-mêmes interchangeables, la vie étant la sœur mirante de la mort, que le poète tirait son lieu et sa ressource. « Du mouvement et de l’immobilité de Douve[1] », c’était cela : un rappel du fondamental, de cette pierre d’assise qui retient l’eau du monde, pierre fondatrice. La voix qui s’était mise à parler, pour ne plus se taire par la suite, était de pierre, était de fluidité, était, par le puissant calme noir qui émanait d’elle, liée au mystère d’une durée comme éternelle. L’ayant eue une seule fois dans l’oreille, on ne pouvait plus l’oublier. Cette voix, pourtant, s’inscrivait en nous comme l’aboutissement d’une quête. Poésie inaboutie philosophiquement, puisque la parole ne semblait vouloir se fermer que pour rendre encore plus visible sa déchirure. La question posée par le poème restait ouverte et cela, ce battement d’un volet sous l’action du vent, dans la sorte de haute mesure venue du repos de la parole en elle-même après qu’elle eut parlé, cela ne faisait qu’ajouter à l’incertitude et, sinon à l’angoisse, du moins à l’interrogation anxieuse. De fait, dans le texte de Bonnefoy, il y a, bien plus saisissante encore que la dialectique existentielle tantôt évoquée, une contradiction déterminante qui fait le charme singulier de cette poésie là même où le charme s’enracine dans l’incantation et dans son accentuation entre toutes identifiable. Cette contradiction qui est aussi est celle de Saint-John Perse pourrait se satisfaire de seulement cristalliser superbement, en reléguant dans la lumière qu’elle est la nuit de ses blessures, mais la voix souveraine de Bonnefoy refusait la trahison que ce lui aurait été de se réfugier dans l’éclat de la beauté en laissant monter en elle, de façon seulement évasive, les infiltrations douloureuses du sang et les fragilités de l’obscur. L’extraordinaire était que le risque pris à ne pas vouloir la poésie orpheline de la pesanteur du monde n’entravait pas la fluidité du chant ni ne privait celui-ci, par quelque excessif recours au réel, à l’indispensable réel, de sa capacité de transparence. Et, dès lors, le problème se posait dans une sorte d’âpreté lancinante, une urgence qui est l’une des caractéristiques les plus remarquables de la poésie de Bonnefoy : lequel, du réel et du chant, est-il premier et lequel est-il l’occurrence de l’autre ? Pour l’auteur d’Anti-Platon, on pourrait croire que la réponse va de soi. Voire. Il me semble que le poète n’a tellement réfléchi sur les causes et les circonstances de la poésie – la démarche des autres poètes venant éclairer la sienne propre – que parce que Platon, et tous les rêveurs de l’achèvement, continuent d’obséder notre langue, notamment en ce temps où l’histoire se défait et se démaille, tout en nous démaillant nous-mêmes : plus que jamais, dans l’éclipse des certitudes, nous sommes en mal d’un sol et d’un pays – je veux dire en quête de stabilité. Le drame, le profond drame de la poésie moderne, c’est, depuis Baudelaire, sa prise de conscience de cette fracture intime qui fait de chacun de nous un dérivant. Face à cette dérive et pour tenter de la contenir, le port, la rive, le salut en un mot, c’est la forme et c’est la figure. La poésie baudelairienne, si terriblement divisée, et qui avoue sa division – les deux postulations simultanées, ceci qui lui est boue et cela qui lui est or – se veut, dans une manière d’empierrement, idole et statue d’une Beauté excessivement menacée, le haïssent, par « le mouvement qui déplace les lignes ». Mallarmé, quant à lui, est séduit par une organisation rituelle du monde et de la langue et, à portée d’une rêverie ou fonctionne déjà, se préparant, la catastrophe d’Igitur, il imagine celle, princesse, sur qui aucune main d’homme ou de femme ne saurait se porter, absolu songe se mirant dans autant d’apparences à vocation d’absolu, même si – mais sans doute est-ce trop tard – monte aux lèvres d’Hérodiade la confession brûlante et l’affreux trouble. Il faut se rendre à 1’évidence : Hérodiade est une exilée volontaire et c’est l’image, c’est l’icône sa protection. Et c’est dans la stimulation des images, « grande et primitive passion », que la poésie se ressource et c’est par elles, les images, qu’elle agit. Nombre de poètes ont poussé et se sont régénérés à ce « très grand arbre du langage » qui effeuille sur nous, l’une après l’autre, les produisant au fur et à mesure, semblances et ressemblances. Entre les deux univers osmotiques du corps et de l’esprit – ce qu’on appelle le corps, ce qu’on appelle l’esprit – les images créent des porosités, réduisent des opacités, aménagent des transparences, allègent et libèrent, jouant ce rôle qui est le leur et qui les apparente aux anges, de qui elles sont les émouvantes médiatrices. L’Ange est une figure emblématique de toute poésie idéelle, idéale ou spirituelle : il fait partie du théâtre baudelairien –, en quoi Baudelaire est sans doute le dernier des Romantiques français – avant l’explosion baroque du surréalisme qui se passera d’anges mais non point d’images ; au contraire. Si révolution il y a par l’impact de l’œuvre de Bonnefoy, elle est dans le fait que ce poète – face à Baudelaire qui est l’une de ses références centrales, et face aux surréalistes auxquels, ardemment, il s’oppose – prévoit de mettre fin au règne de l’ange, fût-il génie platonicien, et de désamorcer l’énergie haute et plus décisive, celle qui seulement est induite de l’image mais qui ne saurait être enfermée dans celle-ci, devenue, pouvoir et puissance, mystérieuse échelle immatérielle de Jacob avec sa cargaison invisible, icône infigurante, symbole sans référent. « Il est l’oiseau de la vision et ne se pose pas sur les signes », dit magnifiquement, parlant de son Dieu, le soufi Djelâl-Eddîne Roûmi au XIIIe siècle. De cette divinité intérieure qu’inévitablement tout poète attache à son poème, quoi donc pourrait tenir lieu chez Yves Bonnefoy ? Peut-être une niche vide taillée à même la parole si admirablement friable de n’être pas de marbre, peut-être l’acuité de la question, mémoire d’un arrière-pays, leurre d’un seuil. J’ai dit à quel point dans le démantèlement de l’époque nous avions besoin d’une patrie et, par l’avertissement que nous aura adressé Hölderlin, d’un habitat. Peut-on habiter un arrière-pays – duquel, de plus, le seuil nous est interdit ? Interdit, non, mais retiré. C’est le pari tremblant de la poésie et, tout compte fait, de la pensée de Bonnefoy, que de hanter ainsi les confins d’une absence, – absence présente, formidablement, d’être cette négation-là. Sommes-nous dans un nada, dans un désert, dans quelque obscure nuit d’ici, domaine fruité, substantifié, simplifié, sensuel, ouvert comme une étoile sur l’étendue des perspectives possibles ? Le poète fait de toute sa force retour (il vient, ne l’oublions pas, de Platon) vers un jeu d’apparences, aimées d’être reconnues comme telles. Aimées passionnément même de mettre fin, au sein de l’ambiguïté, fût-ce au sein de l’ ambiguïté, à ce lieu d’exil qui fut double : exil ontologique, exil imaginal pour reprendre l’adjectif d’Henry Corbin. L’effort de la poésie de Bonnefoy me paraît se situer dans une démarche inverse de celle qui, de Villon à Baudelaire et à Jouve, tradition hautement française et chrétienne, prétend obtenir du poème une sorte de transsubstantiation salvatrice et transformer par lui la boue donnée en or obtenu. Cette alchimie, je serais tenté d’écrire cet alchimisme pour souligner qu’il s’agit là de l’inscription d’un itinéraire comme philosophique, n’est pas, pour Bonnefoy, le lieu de sa propre évidence poétique. Lui, il me semble que, venu de Platon, intime ennemi, c’est d’un lieu d’or qu’il vient, paradis toujours intact d’une enfance, souvenir jamais altéré d’un arrière-pays toujours actuel et présent, et que, comme de quitter un labyrinthe limpide, l’issue à trouver – à trouver nécessairement si l’on ne veut pas trahir l’ontologie ni rater le rendez vous avec l’être – est du côté précisément de la souffrance et du malheur, d’une forme de pesanteur qui serait privée de grâce, à moins que la grâce ne vienne à se poser par instants sur les choses, éblouissement éphémère en qui ne saurait s’abolir le devoir d’une rugueuse réalité qu’il importe d’étreindre, si l’on entend dire vrai. Ai-je parlé d’ange ? Il m’apparaît que l’ange de la poésie de Bonnefoy c’est atterrir qu’il veut et c’est souiller, de toute la boue des Nombres et des Êtres, sa plume immatérielle et sa soie pure. Je me souviens que le premier poème que m’ait lu Yves Bonnefoy au début de notre amitié, il y a de cela un demi-siècle, était, d’une voix rauque et que je ne lui connaissais pas, un sonnet de Jodelle : « Des astres, des forêts et d’Achéron l’honneur ». Or que veut Jodelle ? Ce qu’il veut, lui aussi, c’est laisser derrière lui un âge d’or où tant d’Amours faciles auront fleuri et, au nom d’une sorte de grandiose réalisme, qui n’exclut pas les mythes, eux-mêmes puissamment intégrés à l’imaginaire collectif, organiser un poème en un cérémonial du contr’amour, comme il dit, et en une chute « gênante » (c’est-à-dire infernale) dans la difficulté du temps vécu, forcer Diane à faire l’impur travail de trahison à notre égard, nous réduisant autant qu’elle peut à confesser notre néant, mauvaise déesse,

Ornant, quêtant, gênant, nos dieux, nous et nos ombres.

 

Ce vers admirable de Jodelle, j’aimerais pouvoir le placer en exergue à toute l’œuvre d’Yves Bonnefoy.

[…]


[1]    Première édition, Mercure de France, 1953.

Jean Genet

Extrait du livre Dans le cœur d’Isrâfil, éditions Fata Morgana, 2013

JEAN L’ABDAL

« Croyez que pour être voyou

et poète je suis deux fois digne d’être sauvé »

Jean Genet –

lettre du 25 février 1944 à Maurice Tœsca

Pourquoi parler d’un aspect somme toute mineur de l’œuvre d’un écrivain qui fut, pour l’essentiel, un grand prosateur et, aussi, l’un des dramaturges les plus représentatifs de son temps ? Que signifie vraiment la poésie de Jean Genet dans l’explosion baroque d’une singularité dont c’est la phrase belle et balancée, touffue souvent et parfois comme haletante, qui est la séquence respiratoire privilégiée ? La question se pose et mérite d’être posée. Elle se pose d’autant plus que la poésie de Jean Genet, pour intéressante qu’elle soit au regard de tout le reste – qu’elle en vient à éclairer partiellement – n’est pas d’une originalité telle qu’elle mérite de prendre place dans les anthologies les plus exigeantes de notre modernité, ou de notre post-modernité, comme on aime si souvent à dire maintenant. Elle s’inscrit avec un certain éclat, mais sans surprise, dans une lignée identifiable : celle du Cocteau de Plain-Chant et de Requiem ; celle, parallèle, quoique d’une autre type de préciosité formulatrice, de cet ami aimé, fascinant, honni, que fut Olivier Larronde ; et puis aussi, par moments, l’on pourrait y retrouver, au détour d’un vers ou d’une expression toute en joliesse le charme, sinon la désinvolture, de ce premier proche de Cocteau que fut Raymond Radiguet et dont il advint au poète à la signature étoilée qu’il le pillât.

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