in Le Figaro, 17 avril 2014
Enchères Drouot – mercredi 21 mai – 14h – salle 7
Ancien diplomate, l’écrivain et poète libanais disperse à Drouot le 21 mai, sa collection de beaux livres et de tableaux signés Picasso, Max Ernst, Alechinsky, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls
Salah Stétié, ambassadeur des peintres
Par Valérie Sasportas
ENCHÈRES – Ancien diplomate, l’écrivain et poète libanais disperse à Drouot, le 21 mai, sa collection de beaux livres et de tableaux signés Picasso, Max Ernst, Alechinsky, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls.
C’est un poète, né il y a quatre-vingt-quatre ans dans une famille bourgeoise musulmane, arabophone, d’un Liban sous mandat français, et qui reçut le grand prix de la francophonie de l’Académie française en 1995, longtemps après avoir fondé L’Orient littéraire et culturel, supplément du quotidien libanais francophone L’Orient. C’est un diplomate, ancien secrétaire général du ministère libanais des affaires étrangères et délégué permanent du Liban auprès de l’Unesco.
Salah Stétié aura marqué son temps et lié sa vie d’amitiés avec des grands peintres, Picasso, Max Ernst, César, Alechinsky, Vieira da Silva, Zao Wou-Ki ou encore Xavier Valls, le père du Premier ministre. Il a signé de nombreux livres de ces artistes, qui font partie de sa collection mise aux enchères par le commissaire priseur Jean-Claude Renard, le 21 mai prochain, à Drouot. Trois cents œuvres sans prix de réserve fixés par l’expert, Marc Ottavi. «Mon œil est gourmand de leurs formes, de leurs couleurs, de leurs traits. Grâce à eux, j’ai d’autres mondes que le mien à ma disposition», affirme-t-il.
Avant de s’expliquer sur les raisons de cette vente: «Le Cardinal Mazarin, sur la fin de ses jours, s’était exclamé dans son cabinet de curiosités, «Dire qu’il va falloir quitter tout cela!» Je veux, moi, quitter librement mes amis». En exclusivité pour Le Figaro, Salah Stétié nous a reçus dans sa maison de La Verrière (78), autour d’un thé et de petits gâteaux libanais.
LE FIGARO – Vous souvenez-vous de votre premier choc artistique?
Salah STÉTIÉ – Oui, certes. Il s’est déroulé en deux temps. Dans ma maison d’enfance, il n’y avait pas vraiment de tableaux, mais mon père était amateur de calligraphies. Enfant, je ne comprenais rien à ces lignes tordues qui faisaient sur lui l’effet d’une chanson. Je garderai toute ma longue vie un grand respect pour la magnifique calligraphie arabe, turque ou persane et me suis lié d’amitié avec des agents majeurs de cet art, vivant en France: Saggar, Ghani Alani, Massoudy, avec qui j’ai fait des livres d’artiste. Le deuxième choc de la beauté, occidental, je l’ai reçu quand l’un de mes maîtres à l’École Supérieure des Lettres de Beyrouth, le critique de poésie Gabriel Bounoure, m’a mis sous les yeux une copie de la sublime gravure de Dürer, Melancholia. Du haut de mes 18 ans, j’en fus bouleversé, et aujourd’hui encore. J’évoque cet épisode formateur dans mes Mémoires, à paraître fin septembre chez Robert-Laffont.
Salah Stétié, 2013. Crédit: Stéphane Barbéry
Il n’y avait pas de musée à l’époque au Liban…
Beyrouth n’avait que son très beau musée archéologique. Les peintres et sculpteurs libanais donnaient à voir leurs œuvres deux fois par an au Salon du printemps et au Salon d’automne. Mais point de galerie d’art. Le désert. Les choses ont bien changé depuis et Beyrouth, à partir des années 1970 notamment, est devenu la capitale des arts de tout le Proche-Orient. J’ai d’ailleurs joué un rôle personnel important dans cette renaissance dans la mesure où, directeur de l’hebdomadaire L’Orient littéraire et culturel j’ai, comme dit l’Encyclopédie des littératures (La Pléiade), «dirigé au Liban l’orientation du goût». Bah!
Quel a été le premier artiste à vous avoir ému à votre arrivée à Paris?
Mon premier ami parisien ne fut pas un peintre mais un sculpteur encore dans l’œuf et déjà iconoclaste: César, massier à l’École des Beaux-Arts, désargenté comme un astre en train de tourner au rouge, et avec qui, régulièrement, je battais le pavé de Saint-Germain des Près. César et moi nous parlions de tout, beaucoup d’art, et aussi de rien: avec nos petits moyens nous pouvions juste nous payer les mauvais cafés de l’immédiat après-guerre, des sandwiches au beurre-fromage et parfois un verre de vin pour la fille qui nous accompagnait si nous lui voulions du bien. C’est lui qui m’a introduit dans des ateliers (celui de Zadkine entre autres) et m’a appris une certaine forme d’intransigeance dans le jugement sur les œuvres.
Votre collection compte deux toiles de Xavier Valls, le père du Premier ministre…
Xavier Valls et moi nous sommes rencontrés chez Suzanne Tézenas, qui nous réunissait, avec quelques amis, Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault, Pierre Boulez, au Domaine musical, une société des concerts qui dura 1954 à 1973. J’aimais beaucoup la peinture de Xavier Valls, très balthusienne. Il fit d’abord un portrait de moi. Puis il m’offrit le dessin d’un couteau pour mon mariage, qui a duré 23 ans.
Quel peintre auriez-vous aimé être?
Aucun. Je ne veux pas être peintre, parce que je ne me suis voué de tout mon être qu’à la poésie, centre et périphérie.
A quoi vous sert la poésie?
La philosophie, à quoi sert-elle? On le sait de reste: à être enseignée. La poésie? Elle ne sert à rien qu’à donner des nouvelles du cœur et de l’âme. La poésie, qui dans le monde entier a longtemps signé les siècles -celui de Ronsard, de Shakespeare, de Dante, de Victor Hugo-, témoigne de sa gloire au passé et peut-être prépare-t-elle l’avenir en tentant de sauver tout ce qui peut l’être de l’homme et de sa langue.
Quel est le mot de la langue française qui vous ressemble?
J’aime le mot «ambiguïté» depuis que Pascal nous a appris notamment que tout est ambigu et tragique.
Le marché de l’art est-il pour vous un outil diplomatique?
L’art, en tout cas, pose aujourd’hui des problèmes à la diplomatie. J’ai été le premier président du Comité intergouvernemental pour le retour des biens culturels, objets d’une appropriation illégale ou de trafics illicites, à leur pays d’origine, installé par l’Unesco vers le milieu des années 1970. J’y suis resté sept ans. J’ai eu à m’occuper du Code d’Hammurabi, des marbres du Parthénon exportés en Angleterre par Lord Elgin et qui constituent depuis l’une des merveilles du British Museum. Aujourd’hui, un bien culturel, par sa valeur symbolique autant que matérielle d’ailleurs, suscite de vastes polémiques et se trouve placé au centre de nombreuses transactions diplomatiques. Voyez les objets d’art et les tableaux volés par les nazis et qui ressurgissent chaque jour sous nos yeux. Voyez les patrimoines menacés par fait de guerre, en Syrie par exemple. Et encore les grands débats d’hier sur le pillage par les grandes puissances de milliers de chefs-d’œuvre nés en Afrique, et témoignant de l’identité de ce continent si terriblement démuni désormais de ses propres signes culturels. La diplomatie culturelle est désormais aussi présente dans les chancelleries et les ministères que la diplomatie politique ou économique.
L’artiste natif d’un pays en guerre est-il forcément un artiste engagé?
Il arrive à l’artiste de s’engager. Mais seuls les artistes inaboutis se servent de leur art comme d’un lieu d’engagement. L’art ne doit s’engager que dans et pour l’art qui est une des plus hautes expressions de l’humain, sinon la plus haute.
Au Louvre, le projet de département dédié aux arts des chrétientés d’Orient a été abandonné. Comment réagissez-vous?
C’est une erreur regrettable. Les Arts de Byzance et des chrétientés d’Orient sont, dans tous les domaines de la créativité, des arts accomplis, héritiers de bien de civilisations antécédentes et ancêtres de bien de civilisations ultérieures. Cela est d’autant plus triste que les cultures, arts et rituels issus de Byzance sont encore vivants de façon quotidienne à travers les traditions des chrétientés d’Orient et, par contamination de proximité, avec les arts de l’Islam qui, comme chacun sait, ont partagé avec Byzance bien des positions philosophiques et théologiques autant que de techniques de réalisation. Les rituels byzantins et leurs projections sont également toujours actifs dans toute la Russie chrétienne et l’ensemble de l’Europe orthodoxe. De prime abord, cette élimination du neuvième projet me paraît une facilité et, à la limite, une absurdité. À mon sens, le British Museum, ne l’aurait pas fait.
La nation libanaise est-elle un impossible rêve? Les tensions communautaires en Syrie ont fait craindre le retour de la guerre civile.
Le Liban est très menacé, mais il l’est depuis si longtemps (la première guerre civile dura de 1975 à 1990, NDLR), que l’on peut espérer qu’il finira par s’en tirer avec l’aide de ses amis. Et il en a. Ce sera long, très long, mais pas impossible. Le roseau de la fable se maintient là où le chêne se brise. Disons: inchallah!
Une vingtaine de peintres ont réalisé votre portrait. Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous?
C’est un poète et il l’est resté jusqu’au bout.
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Salah,
Vous etes extraordinaire et votre vie exceptionnelle !
A bientot en Grece !!! Françoise D.